Le soleil des Pyrénées

Un jeune normalien agrégé d’histoire m’expliquait un jour sans rire que la société française était conçue comme une pyramide. Son schéma était d’une cruelle simplicité : au sommet se trouve l’élite intellectuelle issue des Grandes Ecoles de la République, au milieu s’agrippe une frange hautement éduquée qui n’a pu accéder au degré suprême d’initiation et en dessous tente de survivre … tout le reste. Le finaud se plaçait bien entendu dans la première catégorie et il voulu bien me concéder un strapontin dans l’étage inférieur au vu de ma condition de journaliste. Ce principe géométrique est peut être profondément vexant, qu’il puisse être énoncé par un fat un poil plus culotté que les autres nous rappelle qu’il tapisse généreusement l’inconscient de notre élite. Appliquez le principe au domaine de l’information du citoyen et vous obtenez le genre de restriction qui interdit la publication des sondages dans la semaine qui précède une élection. Notez bien qu’il ne s’agit pas d’interdire les sondage mais d’en bloquer la publication. La base de la pyramide est en effet, dans ce schéma, un magma indécis et vulgaire dont le moindre aboiement de roquet peut faire basculer les certitudes. Il importe donc de contrôler la diffusion de l’information dans le plus paraît mépris de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
La frange intermédiaire, gratifiée du statut de complice, peut, elle, bénéficier de l’information à la condition d’en respecter le privilège c’est à dire la confidentialité. En pratique cela signifie que les sondages réalisés durant la fameuse semaine sont transmis aux différentes rédactions par les agences de presse, assortis d’une interdiction de publication. Il ne reste plus qu’à vous vendre, chers lecteurs, nos sourires entendus sous la forme de subtils éditoriaux. Une démonstration de complicité qui conforte chaque année davantage la structure de la pyramide. Cette fois ci pourtant l’Internet est venu perturber le petit jeu médiatique. Non que la publication d’un sondage préélectoral sur l’Internet bouleverse l’ordre des choses, après tout on pouvait déjà se procurer la Tribune de Genève avant la mode du Net, mais il donne accès du misérable petit secret à la multitude. En clair le vilain réseau court-circuite les canaux d’information traditionnels. Encore un effort pour que l’accès à l’Internet se démocratise et c’est le débat politique qui échappera à l’intermédiaire des média. Forums, groupes de discussion, site de propagande, tout est en place pour accueillir le débat citoyen sans que les lois les plus archaïques n’y puissent rien.
Pourtant la publication d’un dérisoire sondage sur Internet ne constitue pas le véritable acte de courage tant que chaque foyer français ne dispose pas, à portée de souris, d’un accès au réseau. Tout au plus s’agit-il d’un pied de nez à l’institution et au flagrant anachronisme législatif. Non le paradoxe vient de ce que le défi soit venu d’un quotidien de province, la République des Pyrénées, qui seul a osé publier les . Si l’on en croit Jean-Marcel Bouguereau et son éditorial du 23 mai, c’est par l’Internet qu’il s’est procuré le résultat du sondage. Rien ne nous prouvera jamais qu’il fut sincère puisque comme les autres rédactions il du recevoir sur son bureau les dépêches d’agence. Peu importe seul compte son hommage à l’Internet, un hommage qu’il faut pourtant retourner. En effet c’est d’un quotidien diffusé à 35000 exemplaire qu’est venu l’ honneur de tirer le premier, c’est à dire de publier sur le sol français les chiffres interdits. Il y a comme une morale dans cette histoire. L’esprit du Net, c’est peut être cela, quand l’information prime sur la taille, la légitimité, le pouvoir et l’institution.

Emmanuel PARODY

(joindre capture/scan de la dépêche AFP découpée pour faire apparaître l’interdiction)

(mettre en encadré en bas à droite)
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948)
Article 19
Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

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