MAJ 22/09/06 : jugement confirmé en appel. Voir le texte et le détail ici
La presse française l’avait annoncé, la presse belge l’a fait. Le droit des titres de presse à refuser de figurer dans Google News a été reconnu par la justice belge qui a condamné Google à retirer les articles de la presse belge de son index. A lire l’éditorial du Monde aujourd’hui « Apprivoiser Google » je mesure avec soulagement la distance qui sépare l’état d’esprit de la presse française à peine deux ans après avoir elle-même menacé Google (J’ai déjà raconté l’origine de l’épisode AFP sur le même sujet). A défaut de confiance la majorité des acteurs français agissent avec prudence.
Le temps est venu, je crois, de dire les choses clairement. Même s’il faut attendre le résultat de l’appel de Google auprès de la justice belge il n’y a jamais eu de doute que la position des éditeurs était juridiquement fondée. Je ne réexpliquerait pas par lassitude le méli-mélo de la législation sur les droits d’auteurs à l’origine de l’effet domino qui oblige nécessairement éditeurs et sociétés de droits d’auteurs à défendre ainsi leurs intérêts. Je ne souhaite pas non plus suivre le cirque de ceux qui répètent à envie que les éditeurs n’ont rien compris, que le monde est désormais « no evil ». Les petits malins du Web 2.0 ont truffé leurs pages de copyright et leurs CGV s’arrogent les droits d’exploitation des contenus des internautes. Il est temps d’arréter les singeries et de poser la balle au centre.
Des infomédiaires fragiles
Si Google News tombe, d’autres suivront, avec en première ligne la tripotée des Digg-like, les agrégateurs RSS et tous ceux qui s’instaurent intermédiaires de facto et tentent d’exploiter à leur compte, même modestement, même si leur action est « utile » aux éditeurs, ce statut d’infomédiaire sans l’accord des producteurs de contenus. La décision de justice belge nous rappelle simplement une chose: l’édifice est fragile. Ce que la raison ne doit pas ignorer: faut-il provoquer le suicide collectif au nom d’un droit légitime?
On le sait, la presse est malmenée et il est tentant de faire valoir ces droits pour freiner un mouvement inéluctable. Certains y ont un intérêt personnel direct, d’autres y chercheront un sursis. Ce sont des motivations puissantes qu’il ne faut pas sous-estimer. C’est aussi de toute évidence un efroyable calcul de court terme, le sursaut d’une industrie sans horizon, de capitaines sans ambitions ni vision. Oui il faut composer avec Google et apprivoiser le monstre. L’enjeu, c’est la reconstruction de la chaîne de valeur, l’apprentissage d’un nouveau mode de distribution.
L’impasse
Par delà la question des hommes il faudra bien reconsidérer une législation des droits d’auteur qui conduit à l’impasse. De l’autre côté il faudra bien apprendre à respecter le droit « de l’auteur », du producteur et abandonner le mirage d’un infomédiaire déresponsabilisé. Tous les hébergeurs, agrégateurs en tout genre et autres moteurs de recherche qui se réfugient hypocritement derrière la technologie pour s’affranchir de leurs responsabilités devront comprendre qu’ils sont eux aussi dans l’impasse. Leur modèle est basé un jour ou l’autre par l’exploitation directe ou indirecte de ces contenus. A l’instant où ils sortiront du bois, ils seront attendus. C’est une des leçons de ce jugement.
En vérité il n’y a pas d’autres solutions que de composer. Google est notre distributeur, d’autres viendront. Notre industrie a tout intérêt à laisser libre court à l’innovation car elle ne peut à elle seule supporter le poids économique de son réseau de distribution. c’est aussi ça la leçon de la crise de la presse. Il est en revanche légitime de contester le partage de la valeur. Légitime de revendiquer un équilibre de l’échange. Pour cela on ne peut concevoir l’existence d’infomédiaires autoproclamés qui s’affranchiraient d’une contractualisation des échanges.
Bizarrement la décision belge ne m’inquiète pas. Elle est tardive, presque anachronique, la tendance est plutôt aux accords. YouTube sait que sa survie ne passera que par des accords avec les producteurs de contenus, Yahoo aussi, Google suivra, c’est notre intérêt à tous. De notre côté il faudra bien redéfinir les vraies priorités: reconquérir le coeur des lecteurs et ne s’imposer que par la force de la légitimité.
MAJ 1 : l’article de Libé ce matin qui montre les nuances entre la position belge et française
MAJ 2: le saviez-vous, la PQR (Presse quotidienne régionale) française a également obtenu de Google de ne pas figurer dans son index. Une transaction réalisée discrètement avant de mener une procédure judiciaire. J’avoue que ça m’avait échappé.
MAJ 3: précision, selon Copiepresse qui regroupe les éditeurs belges l’objectif « n’est pas de faire retirer nos articles, mais que nos contenus soient rétribués ». Ce qui me parait en effet plus cohérent.