Club de réflexion ou « think tank », l’association En Temps Réel vient de publier un cahier sur le thème « Presse et internet – Une chance, un défi: enjeux économiques, enjeux démocratiques » (A télécharger ici). Rédigée par Antoine de Tarlé, Directeur Général Adjoint de Ouest-France et patron des activités multimedia du groupe, cette analyse a l’immense mérite d’aborder la question de l’organisation et du modèle économique des groupes de presse. Les patrons de presse français s’expriment trop rarement sur le sujet pour qu’on ne prête attention à ce document. Danielle Attias m’a d’ailleurs devancé dans le décryptage de ce document (bon sang tu n’étais pas sensée finir ta thèse ?) .
Le propos d’Antoine de Tarlé est somme toute assez logique: en finir avec la mise en concurrence des supports et bâtir les fondations de nouveaux groupe smultimédia, ce qu’il appelle des « agences multi supports ». Evidemment pour celà il faut commencer par tuer le père:
« Les dirigeants des entreprises de presse ont tendance encore maintenant, à n’y voir qu’un prolongement du journal, une concession faite à un public qui ne fait pas son devoir en s’informant en priorité par le papier mais dont on espère qu’il y reviendra, l’âge aidant, en faisant amende honorable. «
Parce que la logique des supports ne peut se réduire à la republication des contenus de l’un à l’autre mais qu’elle reflète aussi des audiences et une pyramide des âges différentes, l’organisation des nouveaux groupes doit gagner en souplesse:
« Les directions des entreprises de presse doivent donc s’adapter à une réalité nouvelle qui transforme progressivement leurs publications en agences de communication multi supports. «
La stratégie payant/gratuit doit également gagner en souplesse rien ne justifiant à ces yeux la gratuité totale des contenus. Il prend sur ce point en exemple Ouest France et Les Echos (merci…) pour le choix de la mixité des modèles. Côté revenus publicitaires il pointe très justement la guerre pour le contrôle de la publicité locale, la prochaine bataille du net, ce qui place le contenu local au coeur de la stratégie. Je partage cet avis l’information nationale et internationale ayant tendance à se dévaloriser sur internet par la multiplicité des sources (Jeff Mignon se penche justement sur le sujet). Je crois d’ailleurs qu’un des succès des Echos où j’officie provient de la capacité à offrir un maillage géographique et sectorielle du territoire.
« Aux Etats-Unis et dans la plupart des pays européens, notamment la France, l’Allemagne et les pays scandinaves, les journaux tirent la majorité de leurs ressources publicitaires des marchés locaux. […] En 2005, les journaux ne représentaient plus que 41% des recettes de publicité locale sur Internet contre déjà 25% pour ce qu’on appelle les « pure players », c’est-à-dire les entreprises qui ne sont présentes que sur le Web. «
Enfin Antoine de Tarlé emploie des mots qu’on aimerait lire depuis longtemps et brise ce qui me paraît le dernier tabou: le journal doit devenir l’excroissance du web.
« Pour tenir compte de la demande du public, on inverse ainsi l’ordre des priorités, le journal, pour se sauver économiquement, devient l’auxiliaire d’Internet. Une évolution inimaginable il y a seulement cinq ans mais qui apparaît inéluctable aujourd’hui. »
A chaque support son modèle économique, la gratuité peut accompagner le payant, le stock et l’archive peut côtoyer le flux. L’affaire des groupes est au fond une affaire d’orchestration:
« Encore faut-il, pour qu’elle puisse peser, qu’elle survive : c’est l’enjeu de la transformation de son modèle économique, non pour abandonner purement et simplement le papier ou faire le choix de la seule gratuité, mais pour trouver un nouveau modèle reposant sur l’articulation de plusieurs supports ayant chacun son économie propre, et pouvant, ensemble, financer une rédaction dont la mission restera de collecter, vérifier et mettre en forme l’information. «
Un seul regret dans cette analyse: la place de l’interactivité et du contenu des utilisateurs (le sujet à la mode) qui reste à mon avis trop facilement réduite aux commentaires sur l’actualité et l’expression libre dont la nécessaire excroissance chaotique nourrit les frayeurs des rédactions. Je crois chaque jour un peu plus qu’il y a un malentendu sur l’application des préceptes du Web 2.0 aux sites de presse. On croit par erreur que toute la pression de l’interactivité doit nécessairement porter sur l’information, les articles d’actualité. Je ne crois pas que l’enjeu se résume à celà, au contraire on fait porter le risque de la dispersion sur le coeur du métier d’informer alors que l’enjeu se situe plus généralement dans la capacité d’associer le lecteur au media, de permettre à l’audience d’interagir non avec les seuls journalistes mais surtout en son sein. Les lecteurs entre eux, avec les journalistes. Sur ce plan de nombreuses pistes restent à explorer par exemple en matière d’actualité culturelle, de services, de réseaux sociaux autour du media. Sans parler bien sûr de l’interaction du media avec son ecosystème, hors du périmètre de son site.
> « Presse et internet – Une chance, un défi: enjeux économiques, enjeux démocratiques » (A télécharger ici)