Rapport Tessier: où l’on reparle d’un label pour la presse en ligne

Après l’analyse d’Antoine de Tarlé, c’est au tour de Marc Tessier de rendre son rapport, au Ministre de la Culture et de la Communication cette fois. « La presse au défi du numérique« , c’est son titre, va encore plus loin me semble-t-il, à la fois dans l’analyse et dans l’ébauche de réponse. Passons sur les aides à la presse, c’est le passage obligé pour ce type de document, au fond chacun sent bien que le débat de fond n’est pas affaire de subventions si ce n’est pour accompagner les inévitables investissements de groupes à la trésorerie exsangue. 

Je note des propositions originales sur la question des droits d’auteur avec une législation favorable à la publication multi support sur une durée limitée. Sans remise en cause sur le fond du droit d’auteur. J’y vois l’ébauche d’une sorte de cycle du produit éditorial, le groupe de presse bénéficiant d’un avantage de court terme pour développer la publication multisupport sans l’épéee de Damoclès de la remise en cause des accords, tout en acceptant à moyen terme le partage des revenus des archives. En quelque sorte on crée un environnement sécurisé pour développer l’activité sur le court terme et on partage les revenus marginaux de la longue traîne. Franchement j’ai du mal à avoir un avis tranché sur cette proposition mais cela fait bien longtemps que l’on n’avait pas entendu de solutions alternatives dans ce débat bloqué depuis des années. Cela seul mérite qu’on y prête attention.

La baisse de la TVA pour les publications numériques est un argument plus technique et financier et une vieille revendication qui resurgit de façon inattendue. Je n’y reviendrai pas. En revanche le retour du label de qualité pour la presse en ligne, presse d’information s’entend, m’interpelle plus. C’est un vieux serpent de mer qui ressurgit dans un contexte nouveau. Il ne m’a jamais enthousiasmé mais à l’heure ou tout le monde se baptise media d’information, s’auto labelise « media citoyen » ou participatif, la confusion est totale au pays de l’information. A l’heure ou l’information circule toujours plus vite (c’est la vraie conséquence de la démocratisation des moyens de publication) les sources d’information exclusives et originales n’ont jamais été aussi rares et menacées. On s’extasie en long et en large sur les commentaires toujours plus riches autour d’une information toujours plus pauvre. A défaut de garantir la qualité de l’information il faudra bien qualifier sa nature et les processus de production de cette information. C’est tout le sens de ce label et je partage largement la conclusion du rapport sur ce point.

Contrairement aux premiers débats autour d’un label de la presse en ligne il y a quelques années il ne s’agit plus de d’estampiller la presse traditionnelle pour lui assurer la rente de son passé glorieux. Le rapport souligne assez positivement l’émergence de nouveaux acteurs, pure players, medias participatifs ou non, qui  se structurent autour d’un projet professionnel, de critères de qualité et qui assument leur vocation de producteurs d’information.

C’est un constat qui me ravit car il désigne la vraie fracture, celle qui sépare non les détenteurs de cartes de presse des autres, non les marques traditionnelles des pure players mais celle qui oppose ceux qui produisent l’information de ceux qui ne font que l’héberger ou la recopier.  Quant au statut « professionnel » ce n’est pas une affaire de corporatisme mais bel et bien de nature du projet. En somme pour moi le vrai combat, qui tranche enfin sur l’insupportable diversion que constitue le débat blogs contre presse pro alors même que la presse « amateur » donne naissance à des projets professionnels.

Reste que si le débat est pertinent, avons-nous besoin d’un label?

Pourquoi pas. Pourquoi pas si, comme le préconise le rapport, il est mis en place par les acteurs concernés eux-mêmes s’accordant sur les critères de qualité garantissant les processus de fabrication de l’information. Contrairement à ce que l’on croit habituellement beaucoup d’acteurs de l’internet, pure players, se définissant d’abord par opposition aux medias traditionnels, en sont venus à redécouvrir un certain nombre d’exigences empruntés aux corpus de base du journaliste professionnel. A l’opposé les medias traditionnels redécouvrent les fondamentaux de leur métier, de leur histoire. Je l’ai déjà écrit, c’est tout le sens du débat autour de la prochaine génération des medias collaboratifs professionnels.

C’est aussi, je le crois, le vrai point de convergence avec les défenseurs du droits d’auteur: réinstaurer la chaîne de valeur du contenu pour défendre in fine sa spécificité et sa politique de prix. Faut-il le rappeler comme le souligne aussi le rapport la faiblesse des medias en ligne français vient aussi de la difficulté d’imposer un prix plus élevé à ses espaces publicitaires. Comment défendre sa vraie valeur si le CPM moyen reste aligné sur celui des agrégateurs de contenus et des marchands d’articulets…

A lire:
> Le numérique, planche de salut des groupes de presse (Lemonde.fr)
> Bientôt un label de qualité pour les sites web d’information? (ZDNet.fr)
> Un rapport plaide pour la concentration dans la presse (Nouvelobs.com)
> Le rapport Tessier plaide pour des concentrations dans la presse (Lesechos.fr)
> Rapport de Marc Tessier : La presse au défi du numérique (L’Observatoire des médias)

12 réflexions sur “Rapport Tessier: où l’on reparle d’un label pour la presse en ligne

  1. Tiens, c’est bien la première fois que je suis en désaccord avec un article !

    Ce projet de label, tel que décrit ici, me semble comme d’ailleurs quasiment tous les labels, un moyen de mettre un rideau sur les vrais problèmes.
    Qualifier les sources d’information ? Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le problème actuellement, alors que les moyens de recouper celle-ci sont plus nombreux chaque jour.

    Je pense qu’une information, c’est en fait deux lignes de texte. Le reste est analyse, contexte, histoire. Pour lesquels l’exigence est surtout de disposer de références sur le sujet abordé.
    Or les journaux actuels manquent de plus en plus de journalistes et correspondants qualifiés (enfin c’est mon impression), ce que l’irruption des journaux gratuits n’arrange pas – d’où la pauvreté de l' »information ».
    Les personnes qualifiées, on va les trouver de plus en plus sur le web et autres publications alternatives, qui plus est avec la possibilité sur le web de confronter des analyses différentes.
    Evidemment, cela ne couvre pas les publications les plus « techniques », qui font inévitablement appel à des experts.

    Mais au final, pour la presse grand public, ce qui fait une publication, pour moi, c’est avant tout sa ligne éditoriale. Est-ce que cela mérite un label ? Et pour quoi faire ?

  2. Je partageais au départ votre position mais ce qui interessant ce n’est pas le label lui même mais le cheminement de pensée qui y mène. Lisez le rapport et le dernier chapitre, le label n’est pas le point de départ de la réflexion mais une partie de son aboutissement.

    Non justement on ne peut se satisfaire d’une définition flottante de l’information précisément parce que le web a favorisé la confusion entre hébergeur-agrégateur et producteur. Jusque là pas forcément besoin d’un label sauf s’il s’agit de légiférer ou de proposer des statuts professionnels. C’est bien le problème: il faut trouver un critère délimitant pour pouvoir envisager de légiférer, de propsoer une politique fiscale spécifique et toute autre mesure.

    Le label est une des réponses possibles, c’est pourquoi je dis « pourquoi pas » même si au départ cette approche a en effet l’odeur d’un vieux drap…

  3. Bonjour,
    la notion de label rejoint la notion de journaliste. Soit, pour le moment, une personne qui produit du contenu dans un média identifié par une obscure commission – la commission de la carte de presse – qui n’a pas bougé d’un iota depuis l’arrivée de ce quatrième média.
    Sur le net, seuls les journalistes des médias traditionnels peuvent « espérer » obtenir une carte de presse puisque la maison mère (une télé, une radio ou un journal) est reconnue comme un vrai média.

    L’arrivée du net pose la question de la définition d’un média : est-ce quelque chose qui a une audience, et dans ce cas une multitude de sites ou blogs sont bien plus populaires que nombre de magazines ; ou est-ce quelque chose qui répond à un ensemble de règles définis par la profession.

    NatC penche pour la première définition, et il faut avouer que l’on revient à l’essence d’un média : transmettre une information.
    De mon coté, et comme beaucoup de personnes issues des médias, je penche pour la seconde solution. A priori.

    Cependant, les usages changent très vite, notamment sur le net. Et finalement, ce sont plus des yahoo, google et AOL qui définissent qui sont les producteurs de contenu (= médias) les plus pertinents.

    Lorsque l’on voit yahoo et google actualités, on se rend compte de la diversité des sources que tous les deux sélectionnent pourtant.

    Plus qu’un label sur les médias, c’est la définition d’un média qui devraient être revue.

  4. Je comprends bien les arguments – intelligents – que tu mets en avant à la suite de Marc Tessier… Mais peut-on croire une seconde qu’il puisse y avoir une commission indépendante qui sache et puisse mesurer la qualité de l’information produite par un site web ?… Personne ne juge la qualité ! Les outils de mesure sont toujours sur des choses quantifiables, et il est rarissime qu’ils s’appuient sur du qualitatif et du subjectif.

    Bien sûr, vu sous cet angle, l’idée d’un label intelligent peut être une bonne idée, mais ne rêvons pas, son application me semble largement impossible. Et risque surtout d’être un bel argument pour faire passer une mauvaise idée : à savoir un label uniquement accessible aux sites de presse déclarés.

    Quant à restaurer la chaîne de valeur du contenu pour défendre in fine sa politique de prix… Je pense qu’il n’y a pas besoin d’un label aujourd’hui pour dire à une régie ou à un annonceur la qualité de son public. Aujourd’hui, les Echos ou Zdnet n’ont pas besoin d’un label pour faire entendre leur différence de valeur : et leur CPM moyen ne doit certainement pas être le même qu’un agrégateur de contenu quelconque ou qu’un marchand d’articulet (qui n’accède à pas grand chose d’autres qu’aux Google Ads).

  5. Hubert, il ne s’agit pas vraiment d’une commission mais c’est aux acteurs eux mêmes de lancer la démarche. Oui l’approche est clairement symbolique mais encore une fois il ne faut pas comparer cette approche à celle consistant à célébrer la presse traditionnelle. j’ai eu cet apres midi une discussion avec des juristes et des persones proche du dossier qui confirme cette approche.

    Cedric : c’est tout le probleme de la definition du media. on arrive vite à une definition trop large et floue pour etre utile (celle d’un intermédiaire ni plu sni moins). La belle affaire, la question est donc de requalifier ce qui fait la spécificité du media d’information. Différencier hébergeur et producteur.

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  9. Vu d’aujourd’hui (mars 2008), ce débat sur un label de « l’information professionnelle » (vévrier 2007) n’a-t-il pas été refermé trop vite ? Les difficultés sont certaines (j’entends bien ce que dit Hubert Guillaud), mais comme vous répondez, Emmanuel, l’enjeu n’est-il pas, pourtant, situé exactement où Tessier le place ? Les réflexions d’aujourd’hui de Benoît Raphaël (http://benoit-raphael.blogspot.com/2008/03/la-nomadisation-de-linfo-va-t-elle-tuer.html#links) m’incite à réveiller ce billet ancien, qui ne me semble pas si mal vu 😉

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