13eme rue: « Quand l’Internet fait des bulles »

La chaîne 13eme Rue organise un petit buzz sympathique autour de son prochain documentaire « Quand l’Internet fait des bulles » qui retrace l’histoire de la première bulle Internet et l’hystérie de la Neteconomie. Le tout raconté par ses protagonistes avec le ton ironique que permet la distance. La chaîne diffuse librement la première partie sur son site dès maintenant.

Je retrouve avec plaisir certains de ceux que j’ai cotoyés et un peu de l’atmosphère de folie qu’on a peine à imaginer aujourd’hui. On y retrouve à la fois l’époque tranquille des pionniers avec Jean-Michel Billaut qui raconte son atelier, Patrick Robin et Rafi Haladjian premiers fournisseurs d’accès. Sur cette époque j’ai publié ici un peu des archives du magazine Planète Internet (1996-98), pour les nostalgiques. Ensuite la période hystérique de 1999 jusqu’à l’effondrement de la bulle en 2001 avec Pierre Chappaz, Loïc Lemeur, Michel Meyer et Jérémie Berrebi, héros caricatural un peu malgré lui d’une époque où les medias, faut-il le rappeler, ont surtout brillé par leur ineptie moutonnière.

La bande annonce du documentaire.

Comme journaliste j’ai gardé une vision mitigée de cette époque. A la fois le sentiment de vivre un moment historique, celui de la naissance d’une indutrie qui allait bouleverser les fondements de la société. Un sentiment partagé par beaucoup à l’époque (et toujours) et qu’illustre bien Thierry Ehrmann le sulfureux patron d’Artprice. Ses propos sont violents, militants, à la mesure d’une certain esprit de revanche qui anime beaucoup de flibustiers du Net, très conscients du séisme politique qu’ils véhiculent. J’aime assez sa rage pour tout dire. Il nous rappelle que cette video doit se lire aussi comme document politique.

De l’autre côté j’ai enragé d’assister à l’hystérie médiatique, entre suivisme et médiocrité. Oui la presse n’a pas fait son boulot. Beaucoup d’incompréhension au début, de mépris ensuite puis de suivisme irresponsable. La presse n’a jamais su traiter l’internet sérieusement. Dédaigneuse au début, se faisant pigeonner ensuite par incompréhension à la fois de la technologie, des enjeux et des modèles économiques. Elle a été méprisante quand il fallait être passionnée, enthousiaste quand il fallait être critique, aveugle quand il fallait être lucide. L’internet a révélé beaucoup du mal de notre profession, le suivisme. Les années 99-2001 ont été hystériques parce que les medias ont « peopolisé » faute de comprendre et surtout pour la plus basse des raisons: la netéconomie déversait une manne publicitaire qu’il fallait servir. Les questions posées n’étaient jamais les bonnes et parfois je me demande si ça ne recommence pas…

Pour le reste oui ce fut un moment de folie, j’ai moi aussi quelques anecdotes en vrac:

Ce chef d’entreprise qui m’appelle (j’étais rédacteur en chef de ZDNet.fr) pour me demander de le mettre en relation avec le patron de Yahoo France que je connaissais. « Si je fais affaire avec lui vous aurez vos 10% bien entendu » me dit-il. J’explique que je passerai le mot mais sans rétribution.

Cette avocate d’affaire qui appelle au hasard (à cette époque pour débaucher certains contactaient aux petit bonheur les cadres du top des sites internet) pour « monter en deux semaines le staff des sites européens d’un grand service d’enchères en ligne », salaire mirobolant à la clé. Au téléphone il apparut assez vite qu’elle ne connaissait même pas le nom de son interlocuteur. Délirant.

Au sommet de la bulle, une soirée Kelkoo, où j’accompagnais mon patron de l’époque Freddy Mini. Un investisseur cinquantenaire, costume impeccable et la peau noircie par les UV façon Seguela, qui pousse devant nous un ado maigrichon et au visage constellé de boutons d’acnées qui nous dit « je vous présente le futur petit génie des dix prochaines années ». Je me suis dis à ce moment que la fin était proche. Jamais revu l’asperge boutonneuse.

Ce banquier, investisseur réputé, qui m’invite à déjeuner dans un lieu parisien sélect. Horreur, j’oublie le rendez-vous, en pleine canicule de juillet, je suis en chemise hawaïenne défraichie et chaussures de plage. Je cours au lieu du rendez-vous pour me faire refouler par un maître d’hôtel à la mine dégouté. Moment d’humiliation, ma tenue m’interdit l’entrée. Je fais demander le banquier qui a sa table réservée. Impassible il s’installe dans le hall avec ses conseillers et y fait servir les mignardises. Rien n’étonne, c’est l’époque.

Enfin, dans le style inattendu, cette avocate d’affaire (encore!) très mystérieuse qui me demande conseil pour m’asssocier à un projet confidentiel. Rendez-vous pour rencontrer une célébrité à l’identité secrète et qui souhaite investir sur Internet. Nou sommes en 2000 et ça sent déjà le roussi. Je me retrouve comme ça un soir, 14eme arrondissement, au domicile de Marc Jolivet, humoriste écologiste. Avec son frère réalisateur ils souhaitent évaluer l’opportunité de se lancer dans la diffusion video. C’est l’époque où Canal Web brasse beaucoup d’air et d’argent.  Les deux frères sont sympas, passionnés, et veulent être les premiers à ouvrir la voie. Avec l’avocate c’est le malentendu, elle pense qu’impressionné je vais encourager l’investissement. Problème: la video en ligne en 2000 c’est du flan, de l’esbrouffe pour les pigeons et les medias. Je le sais, c’est trop tôt. J’explique aux deux frères devant l’avocate médusée que dans moins de 6 mois la netéconomie sera réduite en cendre. En revanche il y a peut-être un créneau en vendant des programmes directement à un portail FAI. Surtout ne pas prendre en charge les coûts de diffusion. Trop tôt, trop risqué. L’avocate essaye de faire bonne figure, elle voit les millions s’envoler. La soirée finit autour d’une bonne table, on cause politique. Une bonne soirée. Je ne regrette rien, je leur ai dit la vérité. Pour le business on repassera.  

Une dernière pour finir: interview d’un de ces jeunes patrons mythique de la neteconomie. Il me raconte sa vie comme une légende. Je l’écoute, ahuri par le déballage insensé qu’il me sert. Un scénario concocté sur mesure. Problème c’est un mythomane et surtout un fils à papa qui copie ce qu’il a vu aux USA (comme la plupart des pseudos « entrepreneurs innovants » d’ailleurs). Il veut me faire gober sa légende mais je me suis renseigné. Ecoeurement l’article partira au panier. Les hebdos goberont tout et serviront l’histoire. Banal. La chute n’en sera que plus dure. Le public s’étonnera, à raison car il a été mal informé…

> L’internet à enfin son docu. A voir absolument et enregistrer:
 « Quand l’Internet fait des bulles » 13ème rue, le 15 juin à 22h30, un film de Benjamin Rassat.

 « La guerre finale »
Un extrait des rushs du documentaire avec Thierry Ehrmann patron d’Artprice

13 réflexions sur “13eme rue: « Quand l’Internet fait des bulles »

  1. Mais à cette époque, Robin avait ses modems dans une baignoire dans le sentier, alors que planete.net avait une salle blanche (9m2, plutôt grise, voire jaune sale à cause de la clim qui fuyait) avec des PC Pentium 75 assemblés munis de 64 Mo de ram en barettes de 16Mo, ethernet en rj45 (à l’époque c’était la fin du 10BaseT 😉 et que le BBS était encore maître du monde et faire du nitel sur x25 relevait de l’apothéose orgasmique…

    Ils sont loins nos modems 9600 !!!

  2. … et c’est oublier chez.com, ecila, cartes.fr et les autres sites de la constellation ibazar, coincés dans un entrepôt sordide en bordure de voie ferrée à Pantin ! Non, tout n’était pas rose en ces années mais ça payait bien plus que le loyer ;o

  3. Pingback: Quand Internet fait des bulles « Nouveau Monde

  4. Pingback:   Quand l'Internet fait des bulles sur 13ème rue, le 15 juin à 22h30 by France Startup

  5. Publicitaire dans une des premières régies web de l’époque , c’était du vrai n’importe quoi mais l’energie est restée et à donner pour les bons business plans des sociétés comme cdiscount,priceminister,kelkoo très rentables aujourd’hui !

    Un autre voie avec second life s’est ouvert , ce n’est que le début mais cela ressemble déjà à cette époque folle où tout était possible !

  6. Pingback: Facebook: Ubu Président au pays des neuneus « ecosphere

  7. Pingback: Buzz et internet: le docu de 13eme rue « ecosphere

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