Google Trends et Ad planner: et si c’était idéologique?

Google est notre ami. Il se balade chez nous, dans toutes les pièces. Il ne touche à rien mais regarde un peu partout.  Parfois, parce que c’est notre ami, on lui prête un caleçon et des chaussettes. Pas de gêne entre nous, après tout il nous apporte chaque jour des cookies. Seulement ce matin le potos s’est fait la malle avec tous nos caleçons. Le voilà qui se balade sur la place du village et commence à exposer nos sous-vêtements devant l’épicerie.

En quelques jours Google vient de prendre deux initiatives qui déshabillent littéralement l’ensemble des acteurs du Web. Avec la nouvelle option « websites » de Google Trends il propose une estimation précise du trafic d’un site (il faut s’enregistrer pour faire apparaitre les données volumétriques). Avec Ad Planner il fournit aux annonceurs des informations sur l’audience du site,  volume et données socio-démographiques. Données exportables dans les outils de media planning. Des données accessibles gratuitement aux annonceurs. Une mise à mort programmée des Comscore, Nielsen.

Comment Google peut-il réaliser ça?

Simple, quand vous indexez la quasi totalité du web, que vous monopolisez 90% des requêtes d’utilisateurs, que vous mesurez directement les flux de trafic de certains sites (via Google Analytics), que vous représentez 40 à 70% de l’apport de trafic moyen d’un site et que vos cookies conservent les habitudes de consommation des utilisateurs il ne reste plus grand chose à savoir sur vous. Votre nom? Ouvrez-donc un compte Gmail…

Pourquoi gratuit?

C’est une question qui peut paraître incongrue alors que plus personne de s’étonne de la légereté avec laquelle le Web 2.0 traite la question de la monétisation. Pourquoi fournir ces données gratuitement? Parce que Google peut se le permettre? Non. Enfin plus exactement oui il peut se le permettre, mais non je ne pense pas que ce soit la raison fondamentale. On sous estime, je pense, le caractère profondément idéologique de la démarche de Google, depuis les premiers jours de sa fondation. On peut brocader le « Do no evil » mais même Eric Schmidt confesse qu’il ne s’agit pas d’une lubie d’étudiant. L’assertion fondamentale « Google veut aider les gens à trouver ce qu’ils cherchent » (lire l’histoire de Google) contient bien plus de significations qu’il n’y paraît.

Google veut rendre l’information accessible à tous non comme une gigantesque entreprise de distribution mais en anihilant ses coûts. La valeur marchande de l’information tend vers zéro non parce qu’elle prolifère mais parce qu’un moteur de recherche omniscient supprime les barrière d’accès et le facteur de rareté. La gratuité absolue des outils de recherche est le facteur indispensable pour conduire à la gratuité de l’information. C’est une stratégie destructrice pour ceux qui vivent de l’information, elle est voulue, calculée, tout au moins assumée.

Pourquoi?

Des souvenirs d’étudiants en économie me hantent chaque jour un peu plus à mesure que j’observe le développement de l’internet. En particulier les souvenirs, terriblement ennuyeux, des multiples exercices de modélisation mathématique des théories néolibérales. Je constate chaque jour un peu plus combien internet incarne les fantasmes des théoriciens de l’économie. Gloser sur la main invisible d’Adam Smith n’est pas nouveau, mais construire le modèle absolu du marché avec une fluidité parfaite du mécanisme de l’offre et la demande  n’est pas une chose banale.

Rien n’est encore parfait ni absolu dans l’ecosystème numérique mais une barrière fondamentale est en train de tomber, et je pense c’est le sens de la démarche de Google. Un des prérequis fondamentaux de l’économie néolibérale consiste à permettre aux acteurs de l’économie d’accéder aux informations du marché dans des conditions de transparences absolues. La fixation du juste prix en découle. Nul n’osait en rêver, il s’agissait avant tout d’une construction mathématique. Avec une conséquence politique notable: on accordait à l’Etat la mission de faciliter l’accès à l’information, ce qu’il s’est de tout temps empressé de faire de façon très partielle puisque du contrôle de l’information naît le pouvoir…

Le problème?

Il est devant nous, il est titanesque. Personne n’aurait osé imaginer que l’accès à l’information et sa fluidité reposerait un jour entre les mains … d’une entreprise privée. En d’autres termes Google est en train de mettre en place les fondamentaux d’une économie néolibérale en détruisant barrières traditionnelles de l’industrie et des Etats. Séduisant? Certainement.

Certainement Si on passe que Google est lui même un acteur économique et non un acteur politique. Si on passe sur le fait que les revenus de Google proviennent désormais moins de la vente de service que de la ponction financière des échanges économiques qu’il induit lui-même, ni plus ni moins qu’un baron du Moyen Age au croisement d’une route commerciale. Une taxe. Un impôt.

Lors du rachat de Google Analytics puis de Doubleclick certaines voix se sont élevées pour critiquer la position dominante d’un acteur qui contrôle désormais la distribution, l’accès à l’information, la mesure d’audience, la régie publicitaire pour son seul profit. De quoi s’agit-il? De l’ensemble des mécanismes de marché régulant la fixation des prix. Paradoxe effrayant, Google, ce monstre issu du fantasme d’une économie néo-libérale épurée, contrôle les prix parce qu’il contrôle désormais les voies commerciales et l’accès à l’information.

Les autorités de régulation n’y ont vu que du feu, faut-il s’en étonner?

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13 réflexions sur “Google Trends et Ad planner: et si c’était idéologique?

  1. Bonjour Emmanuel,

    merci pour l’article. C’est aussi pleinement dans l’interêt de Google d’établir/restaurer la confiance dans la mesure d’audience pour Mr tout le monde : les gros qui annoncent chez les gros y sont moins confrontés, mais il était jusqu’à présent difficile d’évaluer l’audience d’un site de niche, son profil, et donc d’y annoncer sereinement. Google rend ce service, on peut imaginer que les annonceurs en profitant lui en seront reconnaissant…

    t’es tu « amusé » à évaluer la précision de l’outil?… Sur nos sites (4 à 40K VU quotidiens, sites de niche francophones, 2 caractéristiques qu’un Alexa était incapable d’évaluer) on est entre 2% et 25% de marge d’erreur (plus le site est gros, plus c’est précis, c’est logique). Bref, très satisfaisant pour débusquer les mythomanes des stats (maladie assez courante sur le web) et les faire trembler. Qui pour un Top 10 des bluffs d’audience? 😉

  2. Bonjour Emanuel,

    J’ai un complément « plus tactique » à ta théorie du prix parfait: avant le nirvana économique dont tu parles, Google souhaite enlever toutes les barrières qui freineraient (psychologiquement) la dépense maximum des annonceurs ayant conscience de ne pas avoir (i.e. ne pas pouvoir se payer) les infos ou outils idéaux.

    AdPlanner, c’est comme Analytics en son temps: on enlève les freins à la dépense online en général

    Et quand la dépense online en général diminue, c’est bon pour Google vu la part de marché énorme qu’il a dans ce gâteau.

    J’avais déjà cité sur thème la « destruction créatrice » de Schumpter: Google n’a pas de souci a rendre gratuit un service qui pourrait créer de la valeur pour lui et qui en créé déjà pour les concurrents que tu cites si, in fine, il sert son « core business model »: une dépense publicitaire online maximale dont il bénéficie outrageusement.

    cordialement
    didier

  3. Belle démonstration de l’enjeu idéologique de l’affaire.

    Une réflexion personnelle pour compléter : le mystère de la confiance de l’usager envers Google…

    Les mises en garde contre les dangers du modèle Google sont partout:
    – la collecte et le croisement des données personnelles
    – le monopole et l’abus de position dominante (dans la recherche, la publicité…)
    – la destruction du modèle économique d’autres secteurs (l’information, les logiciels de bureautique, maintenant la mesure d’audience, etc.)
    – le manque de pertinence et même le danger de la recherche fondée sur la popularité
    – la critique du modèle techniciste (et la menace technocratique) de la « philosophie » Google…
    – etc.

    Pourtant, la confiance de l’usager envers Google ne semble jamais atteinte, et les usagers continuent d’alimenter le système Google… Pourquoi ?

    Tout le système Google est bâti sur le maintien de cette confiance, mais est-il si assuré ?

    Ne pourrait-il s’effondrer brusquement sous l’effet d’un « syndrome Chantal Goya » de retournement brutal de l’opinion ? On peut penser aussi à d’autres réactions brutales de l’opinion publique : l’effondrement du marché de la volaille durant la crise aviaire, la désillusion post-présidentielle en France, ou même l’effondrement bancaire de Northern Rock…

    Bref le syndrome « le roi est nu »…

  4. Contrairement aux usagers de services Web 2, par exemple Dailymotion, qui se retrouvent grosjean quand ils découvrent qu’on a transféré la responsabilité légale sur leur tête, les usagers de Google n’ont pas à se plaindre. Le service répond à leurs attentes et c’est toute la force du dispositif. C’est un peu comme interroger les salariés sur les 35h, tout le monde est content même s’ils en voient les dysfonctionnements. Simplement ils ne se sentent pas menacés.
    Pour le moment la destruction de valeur touche l’industrie en ligne. Les tarifs publicitaires sont ratiboisés mais les sites sont sous perfusion de Google. Chacun pense pouvoir tirer son épingle du jeu mais les dés sont pipés car les prix sont tirés vers le bas.

    Dans ces conditions je ne crois pas à un retournement des utilisateurs mais plutôt à un réveil politique des Etats. D’ailleurs la prise de position de Vinton Cerf sur la nationalisation de l’internet est un premier signal …

  5. Ok, si on organise demain un référendum-QCM sur l’Europe c’est la gratuité qui gagne.
    A force, Google devient Internet : tout jeter dans le champ unique de recherche et avoir ce mix, permanent, stable, de pertinence/rapidité/gratuité à la place des messages d’erreur d’un OS… on est dans le Web Providence.

    Je ne vois pas l’Europe opposer quoi que ce soit que des mots, il faudra regarder vers le Levant.

    Pas mal l’idée du syndrome de Chantal Goya. 😉

  6. Oui, je suis d’accord, peut-être la Chine nous sauvera-t-elle de Big Google, mais à quel prix ?

    Drôle de dilemne, quand même. Si j’ouvre mon contenu à Google, je génère de l’audience mais il perd de sa valeur. Sinon, pas d’audience, et pas de valeur non plus.

    Donc il faudrait compter sur un réveil politique ? A une échelle nationale qui plus est ? Je crois que là, on se met doublement le doigt dans l’oeil.

    Quelqu’un a le mot juste : « Chacun pense pouvoir tirer son épingle du jeu ». Terrible illusion, en effet – car on finit tous au cimetière – mais dans laquelle on persiste contre vents et marées.

    Peut-être faudrait-il, au final, que les acteurs économiques finissent par acquérir eux aussi une lueur de conscience politique. 100 % chimérique, je vous l’accorde.

    Une seule issue donc, qu’un cocktail explosif, alliant crise alimentaire, crise énergétique, crise environnementale, crise climatique, crise géopolitique et tout le tsoin tsoin crève la bulle de l’illusion globale et mondialisée dans laquelle on baigne aujourd’hui.

    Ce serait sanguinaire, cruel, barbare, cataclysmique, mais rudement efficace.

    Car le cas Google n’est finalement que la face émergée (la paille ?) d’une réalité qu’Emmanuel perçoit très bien (la poutre ?) : globalement, sous couvert de néo-ultra-libéralisme libéré de toute contingence et de toute contrainte, de nouveaux seigneurs féodaux font tout le contraire de ce qu’ils disent et ne manifestent qu’une obsession : prendre le contrôle de la bonne marché du monde.

    Ce sont les meilleurs ennemis du libéralisme en somme, économique, certes, mais surtout politique. Mais peut-être n’en sommes-nous qu’au Moyen-Age du troisième millénaire…

  7. La transparence des prix n’est qu’une des conditions nécessaires à l’établissement d’une concurrence pure et parfaite. Elle n’est donc pas suffisante…

    Internet et Google améliorent en effet l’accès à l’information, mais on est loin de la transparence sur les prix. Les revendeurs s’échinent justement à rendre leurs prix incomparables entre eux à coups d’extension d’assurances, de packages particuliers, ou de conditions de financements…

    Le raccourci est, semble-t-il, un peu rapide que de faire de Google le tenant d’une croisade idéologique. Je souscris cependant volontiers aux mises en gardes de dérives technicistes à courtes vues.

  8. @Joss: attention je dis (peut être mal) que le « juste » prix et la conséquence de la transparence des mécanismes de l’offre et de la demande (et de l’acces à l’information) et non l’inverse. Je ne prendrais certainement pas le risque de penser que la fixation des prix est transparente puisque justement je pense qu’elle peut être manipulée.

    Je ne pense pas non plus que la croisade idéologique explique totalement les actions observées qui peuvent être tactiques comme l’explique Didier. Mais je pense qu’elle en constitue le fil rouge. Je pense quand même (disons que j’en fait le pari) que dans le cas de personnalité comme S. Brin elle constitue une ligne de pensée puissante et assumée. Relire sur ce point les quelques livres qui décrivent l’histoire de Google et les motivations des fondateurs.

  9. Trés bon article comme souvent. J’ai aussi adoré le « Mais peut-être n’en sommes-nous qu’au Moyen-Age du troisième millénaire… » qui conclut le commentaire de Philippe. Cela me paraît tellement approprié…

  10. Pingback: Denis au fil du web » Premiers coups d’oeil au Google Ad Planner

  11. Pingback: H Google ως το “αόρατο χέρι” του Adam Smith | smyrnaios.net

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