Google sous le feu des Etats généraux

Cette fois il semble que les passions se lâchent: « Il y a encore six mois nous pensions y arriver, mais aujourd’hui, avec la crise actuelle, nous vous considérons comme notre pire ennemi », Pierre Conte, patron de Publiprint (Figaro). Selon la retranscription des échanges de la dernière session du pôle 3 des Etats Généraux il est clair que Google est désormais dans la ligne de mire des éditeurs français. Les propos sont violents et adressés à Josh Cohen en charge de Google News qui était l’invité du jour. J’assisterai demain matin à la prochaine rencontre entre Google et les éditeurs, cette fois dans le cadre du Geste, j’espère que le sang froid sera au rendez-vous.

Cette fois il ne s’agit plus de reprocher à Google la reprise des contenus sur Google news (assumée par tout le monde ou presque depuis le dernier étripage en 2003 que j’ai raconté ici) mais son rôle dans l’effondrement des tarifs publicitaires. Un débat complexe mais qui prouve que tout le monde a désormais bien identifié la nature du problème qui mine la presse en ligne: l’impossibilité de monétiser correctement l’information. Je ne suis pas sûr que Google soit le seul responsable sur un marché français où les CPM sont depuis longtemps très inférieurs aux voisins (lire aussi ici). Mais avec un cpm largement  inférieur à 10 euros sur Youtube et et un Google qui se met à proposer de la publicité vendue à la performance (cpc) dans les formats de type carré ou bannière (le display qui assure l’essentiel des revenus des medias) force est de constater qu’il participe activement à vider la baignoire.

Je verrai demain comment s’orientent les débats et la réponse de Google mais je doute que Josh Cohen soit le meilleur interlocuteur pour discuter de ces questions. A mon sens la question du démantèlement de Google se posera nécessairement tôt ou tard non pour remettre en cause le coeur de son activité mais parce que sa position dominante à la fois dans la distribution (search) et comme régie publicitaire constitue désormais une aberration économique qu’on n’aurait toléré d’aucun acteur économique dans une économie traditionnelle.

J’apprécie comme beaucoup la puissance du moteur de recherche et sa contribution à l’ouverture de l’économie des savoirs mais je pense que son modèle économique, du fait de sa position outrageusement dominante, relève désormais plus de la taxation des échanges économiques plus que des mécanismes du commerce. Google ponctionne la valeur ajoutée du commerce en ligne plus qu’il ne le facilite. Je l’écrivais en 2005 en comparant cette domination à celle des banquiers Lombards au Moyen-Age:  « l’enjeu c’est le pouvoir, celui qui contrôle les routes du commerce, filtre les échanges, les ponctionne, fixe les règles ». En clair parce que Google contrôle les routes du commerce il est en situation de contrôler les mécanismes de fixation des prix. C’est la question.

MAJ 15/12/08
Quelques nouvelles  réactions des témoins à lire absolument:

Google en panne d’algorithme politique par Frederic Filloux sur E24.fr

« Google Chahuté » par Sophie Gohier, éditrice de L’Express.fr

Mediawatch avec (encore) Eric Scherer en version anglaise mais qui enrichit son compte rendu de la session qui s’est déroulé avec le GESTE le lendemain.

(Note: j’ai décidé de m’abstenir de faire le récit de la session du vendredi, nettement moins polémique de toute façon mais ayant un caractère privé. J’attends surtout pour commenter de savoir quel sera le texte final qui sera publié à l’issu des Etats Généraux).

Publicité

Pourquoi la presse a du mal à s’adapter aux enjeux de l’internet

Un billet simple et brillant de Steve Outing qui, avec la finesse d’un bulldozer, explique avec la précision de l’initié la petite cuisine interne de l’industrie de la presse et l’origine des difficultés à se réformer. J’ai été impressionné par cet article dont j’aurais du mal à critiquer le moindre mot, en particulier parce qu’il décrit simplement des questions d’organisation, de conflits d’intérêts et de rapports humains. Il rappelle aussi très justement qu’une partie du frein au changement provient du fossé qui existe toujours entre les revenus des activités du « papier » qui dépassent encore de loin ceux du numérique. Difficile dans ces conditions de gérer l’inéluctable transition sans compromettre l’équilibre financier de l’édifice. Un dilemne qui a déjà coûté l’effondrement du groupe Knight Ridder.

On est loin des critiques de « la presse qui n’a rien compris au web », on aborde ici la réalité économique et la question de fond de l’organisation industrielle.

Lire l’article sur Editorandpublisher.com « Why Aren’t Newspapers Breaking Out of the Box? ».

Sauver la presse quotidienne d’information, SVP

Le titre exact du dernier rapport de l’institut Montaigne est « Comment sauver la presse quotidienne d’information » (à télécharger en .pdf). Une gourmandise de 116 pages qui dresse la liste des misères qui s’abattent sur la presse écrite et qui s’est faite remarquée depuis quelques jours pour ses 11 propositions pour échapper aux flammes. Je reproduis ci-dessous ces propositions. Elles n’ont pas toutes le même intérêt mais elles ont le mérite pour un public profane d’exposer quelques uns des soucis de notre industrie. La lecture du rapport me met tout de même mal à l’aise par cette mauvaise habitude de dissocier la presse écrite (comprenez « quotidienne et imprimée ») de la presse en ligne, d’ailleurs jamais vraiment nommée, on y parle de l’internet, sorte de décors dantesque peuplé d’ados ingrats. Comme si le lecteur de Libération, une fois en ligne, n’était plus vraiment le même lecteur.

Passons sur un paragraphe frisant le ridicule décrivant une jeunesse se désinteressant de la chose publique (donc des quotidiens, gardiens de la République et de la démocratie, CQFD). A quelques mois du CPE et du réferendum européen on mesure surtout l’incompréhension d’une certaine élite pour cette même jeunesse. Passons… Plus intéressant les questions de droits d’auteur qui bloquent la stratégie multi-supports (un point crucial à mon avis), les points de vente en diminution, les faibles marges des distributeurs, le manque de trésorerie des groupes, la question des imprimeries et des syndicats.

On ne peut pas dire que les propositions soient très offensives en matière d’investissement en ligne mais il faut être compréhensif, il s’agit surtout de restaurer un minimum de profitabilité sur le coeur de l’activité à défaut de contrer un mouvement inéluctable. Petit plaidoyer pour la concentration industrielle , aussi, ça peut aider. Evidemment, vu des USA, certains ricanent déjà

Maj 31/08 : Jeff en met aussi une couche et nous sommes d’accord pour orienter le projecteur sur les droits d’auteur …

>>>>

Proposition 1 : Mettre en place un plan de réformes de la presse sur trois ans dans lequel l’obtention des aides serait strictement conditionnée à la restructuration des entreprises de presse. Les titres abusant des largesses de l’État seraient, après audit et suite à une période de trois ans, obligés de rembourser les aides perçues à titre exceptionnel. Adopter ensuite une loi prévoyant, au nom de la liberté de la presse, la suppression définitive des aides directes.

Proposition 2 : Supprimer définitivement les bureaux de placement tenus par le Syndicat du Livre – CGT. Financer des plans sociaux dans les imprimeries et mettre fin au monopole de l’embauche détenu par la CGT en dédommageant généreusement les intéressés.

Proposition 3 : Accorder des aides spécifiques aux titres ou groupes qui lanceraient dans les trois ans la construction ou la modernisation d’imprimeries indépendantes en province ou se regrouperaient pour imprimer sur un site commun en région parisienne. Réserver une part du plan d’aide de trois ans aux entreprises qui décident d’imprimer à l’étranger, soit en construisant leur propre imprimerie, soit en passant des accords avec des imprimeries locales, pour développer leur distribution à l’international.

Proposition 4 : Mettre en place une politique d’informatisation ambitieuse des circuits de distribution pour mieux ajuster les quantités mises à disposition par les éditeurs. Accélérer les négociations en cours sur la suppression de mise en place d’un titre chez les détaillants où il n’y a pas de vente pour trois parutions successives. .org

Proposition 5 : Supprimer le périmètre d’exploitation réservée pour les kiosquiers, mais exclusivement pour la distribution de la presse quotidienne. Contribuer en contrepartie à l’augmentation des revenus des kiosquiers en allégeant leurs charges fiscales et sociales. Proposer sur une période de trois ans des indemnités de départ aux kiosquiers qui rencontreront des difficultés économiques et favoriser la vente des quotidiens dans les bars et restaurants et chez les buralistes.

Proposition 6 : Mettre en place un système de distribution à la demande avec réservation et paiement des titres à l’avance, directement au détaillant, ou alors sur Internet ou par mobile.

Proposition 7 : Favoriser la prise en main des quotidiens par les jeunes qui entrent au lycée ou dans des établissement d’enseignement professionnel en proposant aux éditeurs de leur offrir un abonnement de trois mois.

Proposition 8 : Assouplir le dispositif anticoncentration concernant la presse quotidienne en autorisant tous les groupes européens à posséder un quotidien national payant et un gratuit.

Proposition 9 : Pour la presse quotidienne régionale, supprimer les seuils anticoncentration.

Proposition 10 : Modifier le régime des droits d’auteur pour les articles et les photographies de presse quand ils sont produits par des journalistes ou photographes salariés en intégrant cette rémunération supplémentaire directement dans le contrat de travail.

Proposition 11 : Aligner sur le régime de droit commun, par une renégociation complète de la convention collective de la presse quotidienne, les indemnités de licenciement liées à la clause de conscience ou de cession des journalistes. Cette mesure permettrait d’éviter l’hémorragie financière dont sont victimes les entreprises de presse qui se restructurent ou changent de propriétaire. Compte tenu du caractère spécifique de la presse, on peut imaginer, au surplus, le principe d’une indemnité supplémentaire, forfaitaire et égale pour tous et, en cas de reprise, limitée à une juste et raisonnable proportion des capitaux investis pour renflouer le journal. La nouvelle convention doit être négociée avec les syndicats de journalistes – la meilleure des contreparties à la remise à plat de la clause de cession étant une augmentation très significative des salaires des journalistes en poste.

> La liste à imprimer et épingler au dessus du bureau ou du lit

Knight Ridder: histoire de la chute d’un des plus grands groupes de presse mondiaux

Nous autres, groupes de presse, nous savons maintenant que nous sommes mortels. Pour paraphraser Paul Valery c’est un peu ce que l’on ressent à l’heure ou un article de The Economist sur la mort des journaux d’information suscite ça et (et encore ici et encore ) de ténébreux commentaires. Cet article n’apporte pourtant rien de bien neuf au débat. Plus spectaculaire il faut lire ce très long article du New York Times qui analyse la chute du groupe de presse américain Knight Ridder.

Avec ses 18 000 employés, des 32 quotidiens et ses 3,7 millions de lecteurs payants (pas des visiteurs uniques…) ce groupe a créé un véritable séisme en annoncant sa vente probable en novembre 2005  puis effective en juin dernier pour 4,5 miliards de dollars. L’article analyse longuement la chute de l’empire et son dépeçage par son nouveau propriétaire McClatchy Company.

Le récit est passionnant en particulier parce qu’on y parle peu d’internet si ce n’est comme le petit grain de sable qui a grippé la machine. Mais on retient que c’est avant tout une impasse financière qui a eu raison du groupe: en premier lieu l’incapacité d’obtenir de ses actionnaires trop nombreux la décision de financer une indispensable et effroyablement couteuse réorganisation. Un investissement qui aurait mis à mal les confortables marges bénéficiaires exigées par les marchés financiers. Le renoncement aussi de son patron Anthony Ridder, coupable de n’avoir pas voulu imposer la réorganisation. L’article est particulièrement brutal envers lui.

Un article qui montre le dilemne des groupes de presse qui ne peuvent tout simplement pas renoncer aux marges d’un business en déclin pour financer la nécessaire transition. Une transition qui peut durer de longues années. Jamais, à la lecture de cet article, on ne ressent plus intensément cet évidence que la presse est une industrie qui souffre du mal de toutes les autres industries. Ni plus ni moins. Une industrie qui doit se recomposer.

ohmyNews, quelle est la profession des citoyens-journalistes?

La référence en matière de "journalisme citoyen" (citizen journalist) est sans conteste le site coréen OhmyNews. Malgré le fait que la rédaction est en fait constituée de plus de 35 journalistes professionnels chargés de produire et d'éditer l'ensemble des articles, ohmyNews est basé sur les contributions de centaines de citoyens qui soumettent leurs articles pour publication. Je me suis demandé quelles étaient les professions des principaux contributeurs du site afin de mieux comprendre quelle sorte de citoyen formait le socle de ce nouveau type de média d'information.

Ne pratiquant pas le coréen je me suis attaché à la version internationale, en anglais du site. Les principaux contributeurs, ceux qui publient très régulièrement (plus de 3 fois par mois) et ont été remarqués par la qualité de leurs articles ne sont qu'une petite vingtaine. Surprise! Voici ce que ca donne en matière de profession :

David McNeill (journaliste indépendant et enseignant)
Bright B. Simons (chercheur et militant associatif)
Todd Kipp (journaliste indépendant, documentariste)
Ronda Hauben (chercheur, écrivain, journaliste indépendant)
Terry L.Heaton (consultant presse et communication)
John Duerden (journaliste sportif spécialisé football -correspondant pour l'Asie, travaille aussi pour la Fédération de foot asiatique, pratique ça !)
Asad Alex Yawar (journaliste indépendant)
Michael Lomas (journaliste indépendant)
Terence Mitchell (enseignant)
Javier Espinoza (étudiant en journalisme)
James Fontanella (journaliste)
Xu Zhiqiang (journaliste)
Ana Maria Brambilla (journaliste, enseignant chercheur presse communication)
Maria Pastora Sandoval Campos (journaliste, enseignant chercheur presse
Pierre Joo (consultant)
Sadaf Farahani (photo journaliste indépendant, cineaste)
Lily Yulianti (journaliste et écrivain)
Rick Capone (journaliste indépendant)
Roberto Spiezio (étudiant en journalisme)
Rodrick Mukumbira (journaliste)
David Kootnikoff (journaliste indépendant, musicien)

Ce qui nous donne 3 non-journalistes sur 21. Finalement ca ressemble plus au journaliste citoyen qu'au citoyen journaliste non?  

MAJ suite aux commentaires de Benoït Raphael
Ce qui m’intéresse ici c’est moins de découvrir qu’en fait l’encadrement et l’organisation est parfaitement calquée sur les médias traditionnels avec une équipe de journalistes salariés, que parmi les contributeurs se dégage spontanément un noyau dur de journalistes.

Le phénomène pourrait être comparé à la capillarité: on ne cherche pas à promouvoir des journalistes mais on établit au départ des règles de professionnalisme et des exigences qui sont celles des journalistes. Ceux qui maitrisent ces règles sont naturellement ceux qui s'approprient peu à peu le média. le phénomène existe aussi sur Current TV où j'ai été frappé de voir que la production qui passe le filtre de l'antenne est majoritairement issue de journalistes. Bien sûr cette population a aussi l'avantage considérable de disposer du temps, cette denrée rare, pour exercer cette fonction d'informer ce qui n'est pas le cas des autres citoyens.

Il y a sur ohmyNews une majorité de non-journalistes parmi les contributeurs mais au regard du volume publié le ratio s'équilibre ou s'inverse. ce qui relativise largement la portée utopique du "journalisme citoyen" sans pour autant en nier l'aspect enrichissant.

Je crains toutefois que la réelle originalité du phénomène doive surtout se chercher dans le modèle économique et le fait que tout ce beau monde accepte, au nom de l'utopie, de travailler sans être rémunéré en proportion du travail effectué…