Crise de la presse: moins une question de qualité des contenus que de clivages sociaux

A l’occasion de la lecture sur Mediacafé d’un nième article sur le mal de la presse et tout le gnagnagna sur la qualité des contenus et la misère de la presse d’opinion je me suis fendu d’un long commentaire que je crois assez en décalage avec ce qui se dit habituellement pour juger qu’il a sa place ici.  Je me permets de le reproduire ci-dessous et de l’enrichir un peu , il tiendra aussi lieu de réponse tardive aux conclusions des Etats généraux .

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Pour commencer, même si je partage avec d’autres une vision critique sur la qualité des contenus il me semble utile de relever les paradoxes suivants:

– Si c’était une crise du contenu pourquoi les mêmes journaux en ligne battent des records d’audience. Avec une grande part de l’audience sur des dépêches d’agence réécrites et parfaitement interchangeables d’un media à l’autre.

– Si c’est un problème de presse d’opinion comment expliquer que sur Internet c’est justement l’opinon et la subjectivité qui triomphent au travers des blogs (et que tout le monde acclame)

– Pourquoi toujours critiquer la stratégie internet des grands titres de presse alors qu’ils ont pour la plupart atteint des niveaux d’audience tout à fait respectables.

Mes conclusions:
Question contenu c’est moins une question de fond que de nouveaux usages et d’adaptation des contenus aux nouveaux modes de lecture.

La vraie question de fond: une lutte pour le pouvoir et la friction entre classes sociales. L’internet permet l’expression d’une communauté qui ne se sent pas représentée par ses élites, ses journaux. La fracture s’étend jusqu’au coeur des rédactions, elle cisaille les partis politiques etc…

Internet est l’instrument de la revanche des classes moyennes qui voient s’éloigner les perspectives de progression sociale. C’est le media des cols blancs qui se découvrent en voie de prolétarisation et vont s’allier très naturellement avec les professions intellectuelles de plus en plus marginalisées vis à vis du pouvoir économique.
Parmi elles, une grande partie des…journalistes.

Ce qui explique que la fracture passe au beau milieu des rédactions et que certains aient besoin de mettre en avant plus que de nécessaire la question d’un contenu devenu « illégitime » (je ne dis pas que cette critique est totalement infondée).

En vérité c’est une bataille pour la prise de pouvoir autour des fonctions d’intermédiation. Et comme toute lutte qui se veut révolutionnaire, ceux qui la mènent le font au nom du peuple et de la démocratie pour n’instaurer, au final, qu’un système équivalent mais rénové.

La presse traditionnelle menée par des générations ayant précédé l’âge du numérique s’accroche à l’ancien système de pouvoir politique et reçoit une juste rétribution de sa peine. Un salaire bien mérité rendu possible parce que la balance économique leur est encore favorable. Pas sa tendance…

Moralité : pour parvenir à accomplir a révolution numérique au sein de l’industrie de la presse il faut le faire avec l’appui de forces politiques représentatives des aspirations des classes moyennes (pour le moment aucun parti politique ne répond à ce cahier des charges) mais également construire de nouveaux circuits de financement dégagés des influences de l’Etat et de l’industrie traditionnelle.

On est encore loin du compte et le risque est grand de découvrir que de tout cela émergera un ordre économique qui renforcera en réalité la précarité de ses acteurs. En grande partie parce que les nouveaux circuits de financement servent directement les intérêts marchands et n’offrent à l’industrie de l’information que la perspective d’une économie de survie tout en encourageant un mode individualisé de production de l’information. Mode hautement précaire et soumis au risque juridique.

Au final on accouchera d’une industrie qui relèvera plus de la production agricole et dont la matière première servira essentiellement à nourrir le pouvoir des véritables nouveaux infomédiaires, l’industrie des telecoms, Google et tous les services relevant de la distribution des biens numériques. Pour le moment rien n’est encore irréversible.

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Cherche nanas, musicos et techos

Un peu de promo gratuite, histoire d’oublier les nuages au dessus de l’industrie de la presse. CNETNetworks France (où je suis) a lancé une brouette de nouveaux sites: Onlylady.fr blog féminin où l’on retrouvera Pascale Weeks (blogueuse et cuisinière réputée qui officie déjà chez nous sur Goosto.fr) et Juliette, animatrice de CNETTV.fr (oui on a aussi une télé).

Musicspot.fr, un site communautaire pour les fans de musique, et Music360.fr un autre site communautaire conçu pour mettre en relation les musiciens qui cherchent à monter un groupe et diffuser leurs oeuvres. Ce dernier site était au départ un site perso conçu par Benoit Darcy un de mes journalistes gratte guitare, l’idée était simple et géniale du coup on lui a collé un billet aller simple pour le vol roule-ma-poule-c’est-tout-bon. Faites passer les URL à vos amis musicos on a besoin de bras pour déboguer tout ça et collecter les avis des initiés.

J’en profite pour signaler qu’on embauche des developpeurs (envoyez les CV ici)

Voilà voilà, je retourne bosser, côté blogs ça va aussi bouger mais là on vous contactera …

Google face aux fausses promesses des réseaux sociaux

L’annonce est passée inaperçue alors que tout le monde avait les yeux tournés vers l’OPA de Microsoft sur Yahoo, Google, de l’aveu même de Serge Brin, n’est pas satisfait des performances publicitaires des réseaux sociaux (lire la traduction de l’article par ZDNet.Fr). Du coup on se rappelle avec un peu de retard la nature de l’accord avec Myspace : 900 M$ de revenus garantis mais sur 3 ans avec l’essentiel pour 2009 et à condition de respecter des critères de croissance pour l’audience de Myspace. L’arrivée de Facebook a probablement bouleversé le plan et les revenus de Myspace restent toujours à mon avis une affaire bien mystérieuse.

Ce qui est intéressant dans cette histoire c’est d’entendre Serge Brin parler de « déception » à propos des performances des réseaux sociaux. Parler de médiocrité est plus proche des témoignages qui se multiplient depuis plusieurs mois. Pas sûr non plus dans le cas de Myspace que les contenus et le contexte soient très favorables à la publicité. Les uns et les autres étant probablement trop hétérogènes pour permettre un ciblage satisfaisant.

Lire aussi : la chute de la durée de session sur les réseaux sociaux (aussi ici)

Maj 05/02/08: News Corp affirme à l’occasion de l’annonce de ses résultats financiers que sa filiale Fox Interactive (incluant Myspace) atteindra ses objectifs de 1 milliard de $ de CA. Affirmation qui laisse ouvert toute interprétation (apres tout le revenu est garanti donc en clair la question est de savoir si Google récupère sa mise à l’issu du deal).

MAJ 05/02/08: L’analyse de Larry Dignan, plus nuancée sur Myspace qui semble le grand gagnant du deal au contraire de Google. 

Officiel: Facebook dément tout soutien au Président Ubu

Fin de l’histoire, merci à Estelle Dumout de la redac de ZDNet.fr qui a pris le soin de contacter Facebook USA. La réponse est arrivée cette nuit. C’est ici

Matt Hicks, du département de la communication de la société : «Facebook is not affiliated with the website or the application referring to the election of a “Facebook President.” This is an independent effort and not in any way an official “election” for Facebook. » (Blog ZDNet.fr)

Je traduis pour les non anglophones: « Cette élection est une embrouille à deux balles et Dédé, l’anguille de la Caspienne, est un mytho de première bourre » (Ok c’est approximatif).

Voilà qui clos cet épisode qui restera malheureusement un grand moment de ridicule. L’épisode n’est d’ailleurs peut être pas clos puisque l’usage de la marque Facebook par Arash Derambarsh est juridiquement contestable, à suivre…

MAJ 04/01/08: dernier épisode, les précisions de la société ClutterMe à l’origine de l’application utilisée pour l’opération. Infos recueillies toujours par Estelle Dumout (ZDNet). 

Pour ceux qui pensent que ça ne méritait pas tant d’énergie je m’autorise un acte rare, je vais publier ci-dessous l’extrait d’un mail de ma maman, auditrice d’Europe 1 et qui comme d’autres lecteurs/auditeurs a réagi à ce qu’elle ressentait comme un léger problème au niveau de la crédibilité de notre profession. La suite en copier collé, c’est du brut(al) :

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Ma maman m’écrit donc ce matin:

Bonjour Emmanuel, je voulais te téléphoner pour te parler de ce fameux président virtuel de Facebook. Je l’ai entendu en long en large et en travers sur Europe 1. Ils en ont fait des tonnes au point que je me suis posée pas mal de questions à son sujet. J’ai presque eu envie de crier « Elkabach où es-tu ? Ta radio fout le camp! » Merci donc pour ton article et ses nombreux commentaires, j’ai ma réponse.
D’une façon générale je suis en train d’insupporter les médias actuellement : radio = téléphoner comme sur TF1 sur des sujets mais nuls, mais nuls. J’attends le jour où on nous dira d’appeler pour savoir si Sarkozy fait pipi avant ou après le déjeuner le matin !!!! Quand aux télés ils ont des reportages trottoirs indigents surtout en ce moment avec la cigarette. C’est affligeant et je ne comprends pas que les rédac en chef laissent passer autant d’ineptie. On dirait qu’il n’y a personne aux commandes. La course à l’audience se traduit par une course à la bêtise, et au nivellement par le bas. En fait la boucle est bouclée : les « jeunes » aux commandes sont le pur produit d’une éducation nationale qui n’a pas fait son travail. Le nivellement est bien arrivé en bas. Mission accomplie.

Tout est dit je crois, merci M’man !

(Note : si c’est pas du contributif ça!!)

Facebook: Ubu Président au pays des neuneux

MAJ 03/01/08: Officiel: Facebook vient de démentir tout lien avec l’opération, démenti reccueilli par ZDNet (Disclaimer: Site par ailleurs sous ma responsabilité). Ma conclusion ici.

Atterrant. Aujourd’hui un hurluberlu vient de se payer une couverture médiatique nationale (ajoutons les radios) en parvenant à rendre crédible auprès des rédactions une pseudo élection d’un Président de Facebook. Avec un aplomb extraordinaire le gars balance un ramassis de foutaises et de chiffres bidons laissant croire à une quelconque implication de Facebook dans l’opération qui n’est rien d’autre qu’une nième application virale issue d’une initiative privée.

Bravo mon gars! Je n’en dirais pas autant de ce que je lis: , ici, ou encore (et même, où il fourgue un projet avec l’Unesco!). La possibilité de publier des blogs sur des sites de presse a permis, de toute évidence, de crédibiliser l’info en utilisant des marques medias: ici ou (démonstration au passage de la capacité de désinformation des espaces de publication ouverts). On aimerait que la presse, celle qui « décrypte » et « vérifie l’info » prenne la mesure de l’information et bien non. C’est l’inverse qui se passe. On fonce tête baissée et ce sont les petits gars du net qui regardent, effarés, une profession se ridiculiser. Oui, Aziz (Mashable France) tu as raison de faire part de ta stupéfaction, je la partage.

Bon evidemment certains diront que ce n’est pas bien grave, que tout celà n’est qu’une forme de canular sympathique. Et bien je ne le crois pas. D’abord le gugusse semble représenter une véritable formation politique (Alternative Libérale) mais surtout il fait la démonstration de notre incapacité à traiter sérieusement la « petite » information. L’information secondaire, celles des anecdotes, celle de la proximité, celle où en réalité se bâtit la crédibilité parce que la seule dont chacun peut juger de la fiabilité.

Enfin tout ceci me rappelle trop 2001, quand à quelques semaines de l’effondrement de la Neteconomie, fleurissaient les articles people-jeune-entrepreneur, au style badin et faussement enthousiaste parce qu’il fallait se rattraper sur des années d’indifférence face au Net (J’ai rappelé quelques uns de ces moments sur ce billet consacré à « l’Internet qui fait des bulles« ). Là c’est autre chose, au bord du précipice, il faut couvrir frénétiquement tout ce qui mène à l’audience, vite, accumuler les mots clés pour Google, galoper derrière les modes éphémeres, gober tout, vite. Facebook, le mot magique du moment. Après Second Life.

Bref vous m’avez compris il faudra autre chose que ces pigeonnades pour sauver notre industrie.

Maj 03/01/08: le pompon final qui m’avait échappé: la légende sur Wikipedia bien sûr, avec l’appui des neuneux (ou des copains). Plus intéressant on voit qu’il défend et impose la mise à jour se sa propre fiche sur la foi … des articles de presse qui légitiment sa présence sur Wikipedia, la boucle est blouclée. Effarant.

Maj 15/01/08: la page Wikipedia a finalement été supprimée suite à la prise en compte du démenti de Facebook et la polémique autour de l’affaire. Fin de l’épisode.

OK, rien de grave, c’était juste mon coup de gueule du soir, et c’est l’effroi plus que la méchanceté qui me l’inspire…

Pub sur Facebook: quelques chiffres

L’inimitable Jason Calacanis publie quelques données intéressantes concernant les performances de la publicité sur Facebook. L’objet de son billet est plutôt de discuter de la polémique en cours sur l’usage des données personnelles par Facebook mais tout l’intérêt vient de ce qu’il a testé les possibilités de ciblage publicitaire proposés aux annonceurs. Son annonce publicitaire cible les passionnés de musique, utilisateurs d’un jeu video de simulation musicale (Guitar Hero). Le dispositif est semblable aux mots clés sponsorisés de Google sauf qu’ici tout fonctionne au sein de l’ecosystème Facebook.

Le résultat donne une idée de la performance de ce type de pub, basée sur du ciblage des données de profil. A priori le résultat est médiocre mais intéressant. On retiendra le taux de clic entre 0,2% et 0,4%, le cpc moyen autour de 0,13$ (finalement élevé et proche des Adwords) et l’équivalent en CPM entre 0,3$ et 0,5$. Bref au final gardons cette valeur en tête: un CPM à 30 centimes (toujours mieux que Myspace qui semble-t-il flirte entre 0,01 et 0,1$). Pour une pub qui, il faut le signaler occupe au minimum trois fois plus de surface que les Google Adwords.

guitarhero-facebook.png

Important! Mise à jour du 27/11/07 : on me signale à juste titre  que Fabrice Grinda a publié il y a quelques jours les résultats d’une expérience similaire (voir ici). Sauf qu’il obtient des résultats largement plus médiocres avec une accroche publicitaire moins grand public. Chez lui on atteint un taux de clic de 0,02% et un équivalent CPM moyen autour de 0,02$ (2 cents). Ce qui nous ramène aux données de Myspace…