L’annonce du jour, c’est le partenariat signé entre Dailymotion et l’USPA (l’Union Syndicale de la production audiovisuelle). L’objectif : structurer la distribution des contenus video et initier la contractualisation des relations avec les producteurs. Si on ajoute l’accord avec l’INA pour l’utilisation de la technologie « Signature » et l’adoption de la technologie de filtrage d’Audible Magic on comprend que la plate-forme Dailymotion souhaite rentrer dans le rang et faire oublier l’aimable plaisanterie de la modération a posteriori qui a bien failli tourner au vinaigre.
En signant avec les producteurs Dailymotion choisit enfin son camp, celui d’un distributeur qui proposera bientôt une monétisation des contenus videos (voir sur ce point l’interview de Martin Rogard, directeur des contenus, sur Lemonde.fr). Dailymotion a aussi entrepris de valoriser le contenu original en identifiant les créateurs de contenus (le label « Motionmaker ») et labelisant les contenus (marqués « creativecontent »).
Certes, mais si l’intention est louable le dispositif est encore largement insuffisant pour être crédible. Plusieurs problèmes limitent à mon avis l’efficacité et l’intérêt de Dailymotion pour un éditeur ou un annonceur.
– En premier lieu si l’éditeur peut disposer d’une espace personnalisé pour regrouper les videos (par ex celui du Monde.fr) il n’y a pratiquement aucun dispositif sérieux de promotion. En clair l’éditeur alimente la plateforme sans aucune garantie de captation d’audience. Un peu comme si un réseau de salles de cinema n’investissait pas dans la promotion des films distribués. Plutôt limite.
– L’éditeur ne dispose d’aucun dispositif sérieux de retour d’audience vers son site mis à part quelques liens, y compris ceux qu’il peut toujours insérer dans la description ou les commentaires de ses videos. Plutôt léger quand on n’offre aucune monétisation des contenus.
– Pas de promotion des videos mis à part celles figurant en Une de Dailymotion (sur ce point voir le cas d’école d’un buzz organisé) selon le bon vouloir de l’équipe éditoriale de Dailymotion. Ceci alors que Youtube permet de « sponsoriser » ses videos.
– Une réalité pénible: les contenus à forte valeur ajoutée sont loin d’être ceux qui attirent l’audience. Exemple classique sur l’espace Metrofrance: le test du jeu de Ping Pong vu 4900 fois, l’interview de Jacques Attali 379 fois (inaudible il est vrai, comme beaucoup des videos de Metrofrance). D’où l’importance pour l’éditeur de pouvoir promouvoir les contenus originaux, CQFD …
– La notion de contenu exclusif labelisé « creativecontent » peut s’avérer discutable. Démonstration sur l’espace Lemonde.fr où les videos les plus vues sont constituées de séquences de zapping TV. En clair c’est LCI, France 2 et les autres qui font l’audience des videos du Monde.fr. On imagine déja le pataquès quand la pub fera son apparition…
– Corollaire inévitable: quelle promesse pour l’annonceur qui disposera de quelques vagues garanties par l’identification des sources des videos mais qui en réalité verra ses publicités diffusées sur un éventail hétérogène et pour le moins biggaré de contenus. Sans parler du contexte de lecture sans garantie puisque rappelons-le les videos sont en réalité diffusées pour une bonne part (laquelle d’ailleurs?) sur des blogs ou des sites mal identifiés. Conséquence: il ne faut pas s’attendre à des miracles du côté des CPM (les tarifs publicitaires) qui ont toutes les chances d’être au plus bas sur la majorité des contenus.
– Corollaire du corollaire: quelle promesse de revenus? Au moment où j’écris ces lignes la totalité des videos du Monde.fr ont été vues 419 563 fois après presque un an de diffusion et 179 516 pour celles de Metrofrance. Avec un CPM de 5 euros cela signifie en tout et pour tout un revenu de 2095 euros pour le Monde et 895 euros pour Metrofrance! Au bout d’un an! A votre avis combien de videos originales peuvent être financées avec un tel budget…
Triplez le CPM et cela ne financera toujours pas le bignou. En clair comme pour Google il n’y a qu’un seul gagnant c’est la plate-forme d’hébergement elle même qui peut éventuellement parvenir à tirer les marrons du feu. De là à penser qu’on se retrouve encore et encore devant le même paradoxe du Web 2.0: la distribution des contenus est chaque fois plus performante sans jamais parvenir à rémunérer la production des contenus.
Je ne veux pas critiquer Dailymotion jusqu’à un certain point, ce service reste pour longtemps un de mes coups de coeur personnel, mais je pense important de démontrer les limites du modèle. En même temps expliquer pourquoi certains éditeurs dont je fais partie, malgrè un a priori favorable peinent à trouver leur intérêt à participer à un jeu où les dés sont pipés. J’ai eu l’occasion de discuter il y a quelques mois avec Benjamin Bejbaum, le fondateur de Dailymotion, qui m’a assuré qu’il veillerait à mettre ne place un dispositif de promotion des contenus. Cette évolution est plus qu’une nécessité mais si les éditeurs doivent aussi payer pour la promotion défaillante de leurs contenus il faudra plus qu’un CPM à 5 euros pour justifier l’investissement. Pas simple…
(Pour être complet je signale un point fort de Dailymotion côté crédibilité: la mesure du nombre de visionnage des videos correspond à une véritable consommation des videos là où chez le concurrent Youtube il ne s’agit, incroyable mais vrai, que d’une mesure des « hits ». Des hits générés à chaque appel de la page contenant la video mais pas forcément la consommation de la video elle-même. De quoi calmer l’enthousiasme de beaucoup de professionnels…
MAJ 31/10/07 Voir la précision de Dailymotion dans les commentaires ci-dessous sur la mesure des videos vues qui prend en compte les videos exportées sur les sites des éditeurs)