Payant vs gratuit: l’info généraliste cherche sa stratégie

Payant vs gratuit: l’info généraliste cherche sa stratégie

La crise favorise les solutions extrèmes, c’est compréhensible, mais on ne peut que s’étonner de la différence des niveaux de réflexion stratégique d’un pays à l’autre. Côté France je découvre avec stupéfaction (pour ne pas dire plus) l’existence d’un projet de taxation des FAI, soutenu par la direction de Liberation, pour financer la presse généraliste, grosso modo la licence globale appliquée à la presse.

Cela prête à sourire mais je crois volontiers que l’absence de perspectives puisse conduire à ce genre de réflexe désespéré, en particulier quand on a la charge de sauver des emplois. Je n’aime pas du tout en revanche que l’on brandisse l’argument de la démocratie en péril pour justifier des avantages économiques . Je soutiens une grande partie des mesures issues des Etats Généraux concernant les droits d’auteur des journalistes et le statut d’éditeur en ligne, je suis extrèmement réservé vis à vis des mesures destinées à créer un sous-statut pour la presse « d’information générale et politique « . En pratique elle vise à délimiter très arbitrairement le petit cercle de la presse « utile à la démocratie » qui se partagera les aides de l’Etat. La ficelle est grosse, faut-il pour autant y ajouter le produit d’une taxation des FAI. Le raisonnement me laisse pantois. Je passe sur la répartition calculée « sur la fréquentation et  la taille des rédactions ».  Quelle sorte d’aveuglement ou d’arrogance (ou de désespoir) peut soutenir un tel raisonnement ?

Côté US, le vent de résistance de la presse accouche d’un document probablement discutable mais à l’argumentation calculée. Issu d’une réflexion menée par les directions de plusieurs journaux américains ce document intitulé « Newspaper Economic Action Plan » résume les grandes lignes d’une stratégie consistant à généraliser la formule payante pour la presse d’information généraliste. A noter que ce livre blanc reprend les données des modèles économiques soumis par l’ami Jeff Mignon sur son blog  (voir ici directement les hypothèses de calcul). Je ne partage pas la volonté récurrente d’en découdre avec Google News mais il faut reconnaitre que le scénario est moins caricatural que l’approche binaire tout payant contre tout gratuit. En particulier il intègre l’usage des API, c’est à dire la necessité d’associer au payant une stratégie de distribution des contenus tenant compte des avancées technologiques des dernières années. En particulier une volonté de faire payer les usages plutot que les contenus (je reste farouchement hostile au paiement à l’acte article par article mais après tout chacun peut établir ses propres recettes).

Pour être complet voici une première critique de ce document sur le blog de Scott Rosenberg (co-fondateur de Salon.com). Ses arguments basés sur ses propres échecs me paraissent valables mais il me semble que si une grande majorité des journaux adoptent de concert une stratégie payante il peut se créer un écosystème plus favorable qu’au cours des dernières années (où envisager le payant semblait une erreur face à un marché publicitaire en croissance rapide). Tout cela bien sûr au prix d’une décroissance de l’audience des sites de news généralistes, c’est tout le point. Autrement dit renoncer aux revenus incrémentaux de la longue traîne pour privilégier une hausse du revenu par utilisateur et une audience qualifié.

L’approche des journaux US appliquée au raisonnement de Joffrin reviendrait non pas à taxer les FAI mais au contraire travailler avec eux c’est à dire les utiliser pour ce qu’ils sont: des canaux de distribution. Une piste: faire financer par Orange l’accés aux contenus payants du quotidien des abonnés Orange. Techniquement l’accès et l’authentification des abonnés peut s’effectuer en toute transparence via les API Orange Connect (injustement méconnues, semblable au dispositif Facebook Connect – voir le dispositif Orange Connect que nous avons installé sur CNETFrance.fr – cliquer sur « Identification » en haut à droite puis le logo Orange). Un accord de régie avec Orange peut permettre de compenser tout ou partie des coûts grâce au ciblage publicitaire spécifique de ces abonnés. La qualification des profils peut également générer de nouvelles sources de revenus, on me pardonnera de ne pas les détailler ici.

Avantage: c’est la valeur de l’abonnement ou de l’accès payant, contrôlé par l’éditeur, qui fixe le niveau de valorisation de l’opération et non les conditions volatiles du marché publicitaire sur des audiences non qualifiées. Certes  celà pose la question de l’indépendance vis à vis des opérateurs mais c’est une autre histoire. Un scénario négociable n’est-il pas préférable à des conditions commerciales imposées ou un impôt?

MAJ 04/06/09 via Eric Scherrer: la stratégie mixte du Wall Street Journal où Google News n’est pas bloqué mais est utilisé comme vecteur de recrutement.

13 réflexions sur “Payant vs gratuit: l’info généraliste cherche sa stratégie

  1. Louable intention que de vouloir sauver un modèle qui se meurt (de son « aveuglement et son arrogance ») en essayant de le reproduire sur le net.

    La présence sur le net impose désormais la gratuité des services qui sont proposés.
    Si la vieille presse veut survivre, il lui faut trouver d’autres pistes et relais de croissance.

    Le payant ne pourra passer que pour des niches très précises et limitées (information boursière en prime time par exemple, ou infos « d’initiés »).

    Ou alors en l’imposant par un accord d’ensemble de toute la presse. C’est ce que souhaite Murdoch.

    Mais cette unité est impossible à trouver, et dès lors qu’un gratuit comme 20mn, metro ou direct continuera à produire et diffuser de l’information gratuitement, comment imposer de payer pour lire une analyse à peine plus complète sur le monde, le figaro ou libé ???

    D’autre part, le subventionnement massif de la presse par l’état va lui faire perdre son âme et la confiance de son lectorat…. et in fine son audience, ….. et in tute fine ses revenus publicitaires. (History proves that ads follow eyeballs, it just takes time).
    Joffrin qui n’est pourtant pas le dernier des ânes en proposant cela le sait bien, mais il n’a pas le choix.

    Pour ceux qui n’auraient pas encore vu cette courte vidéo, elle résume ce qui va se passer : http://tinyurl.com/mlusuh

  2. Non je ne crois pas que le Net impose la gratuité même si j’estime que la presse spécialisée où je travaille n’a pas besoin d’envisager cette stratégie.
    Cela concerne en effet une partie des titres et je suis d’accord, sur une partie des contenus. C’est ce que dit le document par ailleurs en axant volontiers sur le modèle mixte. A chacun de trouver sa recette.

    Cela ne permet de toute façon pas de préserver les structures actuelles donc ce n’est pas de cela dont il s’agit, la presse quotidienne ne pourra faire l’économie d’une réorganisation complète et de choix éditoriaux remaniés.

    Quant à la video, oui je l’ai vue et même si elle brosse l’opinion générale dans le sens du poil elle sous estime largement l’appétence d’une partie du lectorat pour une information structurée et validée. Par ailleurs la médiocrité crasse des annonces publicitaires présentes sur cette video (en tout cas celles que je vois) en dit plus long sur la limite du modèle gratuit que la bonne bouille de son auteur…

  3. Vous avez raison, être présent sur le Net n’impose pas la gratuité.
    Je corrige donc mon propos : être présent sur le Net impose la gratuité … si vous souhaitez toucher ou informer le maximum d’internautes.

    Mais c’est toujours le choix éternel : informer un public averti et ciblé de VIP ou la masse des autres.

    Quantité ou qualité, il faut choisir, et bien sûr tout choix est un renoncement.

    D’un point de vue stratégique, je suis certain que le paiement pour le contenu n’est pas la meilleure option pour des éditeurs d’informations générales.
    Même les faits montrent que Mediapart ne réussira pas son pari, là où rue89 et slate montrent de bonnes tendances.

    Je partage votre avis sur les publicités qui entourent la vidéo, et que je n’avais même pas remarquées au premier visionnage.

    Sur le fond de la vidéo, il est quelquefois plus difficile de suivre l’opinion générale (surtout pour Mr Murdoch apparemment) que de s’en démarquer : ce que la majorité veut est en général bon pour elle quand même :-). Le « marché » a souvent raison.

  4. J’ai sous les yeux le magazine Time qui m’informe que Google a reçu 131 millions de visites en un mois. Et je lis (en tapant dans google) que le New York Times reçoit 50 millions de visiteurs par mois.

    Comment se fait-il que Google gagne beaucoup d’argent (il paraît) alors que le NYT s’inquiète? (Y aurait-il un problème quelque part?)

    Voilà, c’était une question naïve… 😉

  5. Pour le financement des sites de presse, je trouve l’alternative évoquée par IDate bcp + intéressante concernant les stratégies ecommerce : propose l’élargissement de la source de revenus sur des activités affines avec la cible.
    Pour un acteur de presse, il s’agit par exemple de vendre des livres sur les sujets relayés, ou des produits ciblant le lectorat.
    http://www.idate-research.com/pages/index.php?anneedem=2009&rubrique=news&idr=20&idl=6&idp=581

    C’est vrai, ce n’est plus de l’info pure… mais ca permet de garder l’indépendance de la rédaction.

  6. Rien de nouveau là dedans helas Raphaelle même si certains semble découvrir découvrir très tardivement une des sources de revenus les plus anciennes du net. Affiliation, commerce, leads, CPA rien de neuf et des marges qui se sont considérablement réduites sur ce type d’activité.
    Cela dit oui c’est une source de revenus complémentaires à ne pas négliger. Quant à partager une partie du produit de la vente des biens c’est un piège bien plus redoutable pour l’indépendance de la rédaction que toute la publicité du monde. Ce n’est plus le même métier, c’est de la vente. Donc à utiliser mais ne pas envisager d’en vivre.

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  10. Bonjour Emmanuel,

    Il est nécessaire de dissocier la vente du contenu.

    Si vous avancez dans cette direction vous supprimerez bientôt la pub qui est le cœur du système de vente, celui qui prépare à « l’acte » d’achat. La seule différence est que la pub est voilée, sur le fond rien ne change en revanche. La pub c’est de la vente. Le branding c’est de la vente, le cpm c’est de la vente…

    Le net n’appelle pas forcément la gratuité. C’est parfaitement exact et rassurant. Cependant pour prendre un exemple que vous connaissez: je ne souhaite pas payer pour le premium IGN ou Gamespot. Le service offert est de très belle facture mais reste orienté vers un objectif de vente de jeux video. Sur papier les magazines spécialisés jeux video étaient déjà des catalogues de jouet (avec qq exceptions Edge ou Joystick et même Tilt qui ont disparu il y a qq années).

    Parfois il semble que les contenus sont de facture assez similaire sur le web et dans le vieux monde. C’est simplement le seuil de tolérance des lecteurs / consommateurs qui s’est affaissé. Ils sont moins dociles, ils deviennent peut-être arrogants. Je ne sais pas.

    Lorsque le web aura gagné en qualité, que les contenus seront à niveau il pourra être payant, même très cher. Nous souhaitons tous payer cher, le plus cher possible.

    Entretemps il devra vivre sur le modèle publicitaire comme tous les supports et contenus de qualité modeste. Un peu comme dans la vraie vie avec les shows promo et les soaps a la tv en radio et sur papier. Comme dans la vraie vie, il faudra produire de la qualité. Comme dans la vraie vie certains supports auront même un modèle strictement payant vivant absolument hors de la sphère publicitaire.

    Je souhaite payer pour des contenus chers et de qualité. Si la pub en fait partie elle sera de toutes façons intelligente car mise en place ou validée par des hommes exigeants et bien orientés… vers la qualité.

    Les couches fonctionnelles et la profondeur des contenus ont été améliorées depuis 96 Emmanuel. En revanche le nombre de mètre carré destinés au contenu s’est fortement réduit au profit de la pub. Nous sommes encore dans la phase expérimentale (and we might need some reverse engineering just now ; not less advertising but a lot smarter advertising). Le rendement publicitaire n’est pas nécessairement corrélé au nombre de mètres carré que vous lui accordez.

    Sans un contenu de qualité pour lequel nous souhaitons payer très cher il n’y aura pas de mon presse sans affiliation, vente et autres joyeusetés du genre. Et si ces modèles peuvent faire naître et accompagner vers la qualité de nouveaux journalistes et contenus ce sera une très belle histoire. De la qualité.

    Finalement je crois plus à une scission, hyper segmentation des contenus avec le « snacking » et le « in depth » aux 2 extrémité de l’échelle. Entre ces 2 balises un immense espace s’ouvre.

    Même si les législations et régulations s’organisent pour placer des silos géographiques (sur le principe des zones dvd, éditions de journaux spécifiques) ou temporels (calendriers de sorties spécifiques en fonction des supports films salles, tv, dvd etc) sur les contenus ou/et interdire la circulation des internautes sur le web, une forme de fluidité et de liberté d’accès devrait se développer et/ou persister.

    La belle nouvelle est que très probablement le « consommateur » averti se libère tout comme l’éditeur exigeant que vous êtes.

    There is hope in the end Emmanuel.

    Matthieu

    PS : « La qualification des profils peut également générer de nouvelles sources de revenus, on me pardonnera de ne pas les détailler ici. ».

    Tracker le consommateur sur ces sensibilités au contenu est beaucoup plus délicat d’un point de vue éthique qu’un simple ciblage / re ciblage sur ces « goûts » publicitaires que vous décriez dans un de vos billets passés. Cependant votre collaboration à la cause publicitaire devrait apporter de belles choses.

    C’est très intéressant mais je suis sceptique sur votre vision d’une facturation qui passerait par le FAI. Comment faites-vous lorsque je change de FAI ou pire de pays ou même continent. Vous savez mieux que nous tous Emmanuel que les FAI et autres mobile carriers ne rendront jamais nos données transportables… open data is not part of their DNA.

    Beaucoup d’internautes et sont devenus très réticents à une éventuelle dépendance aux FAI. Pas d’aliénation Emmanuel. Le contenu n’est pas un produit comme un autre 🙂

    Je souhaite payer mon contenu cher, très cher, et directement à l’éditeur.

    Aucun calque / couche de répartition du revenu ne doit se placer entre nous Emmanuel, en particulier le FAI.

    Sinon des éditeurs de contenu puissants (dont vous êtes) se verraient accorder des rémunérations avantageuses lorsque les autres devraient se battre pour innover tout en touchant des dividendes plus faibles…

    … diversité, qualité et liberté seraient très menacées.

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