Mediapart: l’adhésion comme carburant

Une étudiante de l’ESJ (où je suis intervenu fin Octobre à l’occasion d’une conférence sur le modèle économique des medias participatifs) s’étonnait de l’initiative de Daniel Schneidermann qui appelait en septembre dernier à l’adhésion payante pour soutenir le projet d’Arret sur Images. Elle s’étonnait car « pourquoi payer alors qu’il n’y a encore aucun contenu »? En fait l’initiative était à mon sens tout à fait justifiée mais répondait à une logique nouvelle. Une logique que résume très bien l’edito de Plenel sur le nouveau site du projet Mediapart.fr (projet déjà décrit il y a quelques jours).

En résumé le choix du payant ne relève pas de la valeur marchande de l’information mais d’une adhésion morale à un projet éditorial. Edwy Plenel tire assez justement les leçons de la crise de la presse (son projet pour la reprise du quotidien Liberation avait déjà permis de donner le ton): d’abord la critique largement convenue de la crise de confiance de la presse mais également ce paradoxe que le lecteur paye déjà pour accéder à l’information puisqu’il paye son fournisseur d’accès.

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Un des arguments les plus pertinents pour la gratuité des medias d’information est en effet basé sur l’idée que même en se rendant au kiosque on n’achète pas la somme des articles de son quotidien mais le moyen d’y accéder, le support papier. Conséquence: il n’y a pas de raison de payer l’info en ligne puisque les coûts de distribution sont inclus dans le forfait du FAI. Imparable. Approche intéressante à laquelle je souscris depuis longtemps et qui a le mérite d’ouvrir la voie à une approche décomplexée de la monétisation de l’information, par la pub ou par la qualification de l’audience (les profils, carburant du marketing direct pour moi la raison d’être économique du Web 2.0).

Comment justifier le payant

Quel rapport avec l’approche du payant de Mediapart.fr? Et bien justement il y a un hic dans cette théorie. Elle marche parfaitement pour les medias de niche ou l’approche verticale des magazines mais elle laisse l’information généraliste aux prises avec un univers concurrentiel si vaste que leur survie ne peut passer que par l’audience de masse et l’attaque frontale face aux portails. Ajoutons les CPM trop faibles en France et la perspective d’une rentabilité par la seule publicité est illusoire. Pire, elle serait nécessairement compromettante. Pour cette raison je ne soutiens pas le modèle du tout gratuit pour l’info généraliste et je pense que l’initiative du New York Times est une erreur (je ne suis pas non plus pour le tout payant mais c’est une autre histoire).

Comment dans ce cas, justifier le payant dans un univers de gratuité? C’est là que l’initiative de Mediapart rejoint celle d’Arrêt sur Images, en fondant l’acte d’abonnement sur un acte d’adhésion et de participation. Comprenez en se déconnectant d’un acte d’achat. Lisez le billet de Benoït Thieulin, qui positionne Mediapart dans la filiation des medias participatifs comme Ohmynews. Il décrit une partie du processus de création de la valeur ajoutée dans un espace participatif, par exemple en exigeant une participation des lecteurs débarassée de l’anonymat et par l’obligation de s’enregistrer: « l’obligation de se loguer dessine, sans qu’on y prenne un garde, un espace délimité dans lequel on appelle à la contribution […], et qui, déployé dans la durée, confère à chaque contributeur une identité liée à ce projet« .

L’identité numérique, le nouvel enjeu

J’ai soutenu une idée semblable au sein des Echos.fr pour encourager l’idée la participation des lecteurs en leur nom propre (actuellement on laisse toujours des commentaires sous pseudo – j’ai eu le même débat avec Laurent Mauriac de Rue89.com) parce que précisément c’est l’adhésion identitaire au media qui est au coeur du processus de l’affinité. Le moteur du véritable « abonnement » et de la création de valeur. Je pense aussi que tout ça n’est pas nouveau, réside déjà dans l’acte traditionnel d’abonnement mais se retrouve souvent masqué par l’acte d’achat symbolisé par la visite au kiosque.

Pour ces raisons je pense que l’approche de l’équipe de Mediapart est la bonne. Il n’y a aucune garantie de succès. Je fais aussi le pari in fine d’un modèle mixte pub-abonnement mais il me paraît important, pour un projet aussi ambitieux de fixer dès le départ la barre très haut. Non par le prix mais par l’affirmation d’une ambition morale, aussi arrogante soit-elle. D’ailleurs, sur le fond, je ne pense pas qu’il puisse y avoir de grand media sans un projet politique.

A coeur vaillant, rien d’impossible…

Bon courage et zou ! Mes 90 euros … (Déjà 123 abonnés ce soir à 23h)

14 réflexions sur “Mediapart: l’adhésion comme carburant

  1. Pingback: MediaPart: Edwy Plenel expose son projet de site d’information « ecosphere

  2. Au final, le plus grand défi de MédiaPart sera de produire un contenu original et de qualité. Car nombreuses peuvent être les inscriptions d’enthousiasme (comme la tienne) au lancement du projet, mais elles ne se renouvèleront que si le contenu convainc. C’est à dire si MediaPart, au délà d’un simple abonnement de soutien « militant » est capable d’offrir une information que l’on ne trouve pas ailleurs. Et dans le domaine de la presse généraliste – papier et web – la concurrence est rude.

    Enfin, je rejoins parfaitement l’analyse de Benoit Thieulin sur la nécessité de favoriser l’émergence d’une communauté de lecteurs. En effet, c’est la clé du succès d’un modèle à abonnement, et c’est aussi la façon la plus judicieuse d’arriver à monétiser son audience. Sur ce plan, je suis convaincu qu’il y a encore une foule de modèles économiques qui n’ont pas encore été explorés. Les débouchés peuvent être prometteurs (on y réfléchit très sérieusement à café babel).

    Donc, pour l’instant, wait and see!

    Alexandre

    On pourra, en temps

  3. Ce que tu dis est vrai pour n’importe quel media. Rue89 a montré que les journalistes avaient encore quelques assez de punch pour imposer une marque media en quelques mois avec des contenus originaux. Sur ce plan je pense que Rue89 a changé la donne en bousculant le discours à l’eau de rose sur le journalisme citoyen.

    Reste la question du modèle économique qui est loin d’être résolue. Plenel a le mérite de faire un choix en tirant des leçons des expériences déjà en place pour mieux s’en démarquer.

    La concurrence est rude parce que tout le monde peut republier ou commenter de l’info généraliste mais sur le plan de la création de contenus exclusifs la concurrence est plus rare qu’on ne l’imagine (du moins dans certains domaines). Le problème c’est de la payer. Et ce que certains ne comprennent pas c’est que le modèle de la distribution par Google ne favorise pas la qualité mais la quantité, c’est ça le vrai probleme du modèle ouvert et de la gratuité.

  4. Entièrement d’accord sur ton billet. Le projet est, de toute façon, passionnant. Et un modèle mixte peut être intéressant, ça peut, de toute façon, être une issue.

    Reste un nombre incroyable d’inconnues. Et un succès qui dépendra d’un fine tuning extrèmement fin, alors que le site aura du mal à s’appuyer en parallèle sur une audience et une marque établie. Enfin, doute majeur pour ma part : la capacité de Plenel à faire du better journalism, et l’ambition « globale » d’une équie de 45 personnes, qui veut donner des leçons au monde.

    Certes, pas de projet sans ambition politique ou vision d’avenir. Mais enfin, quelle arrogance, quand même, dans le document de présentation aux investisseurs, non ? J’avoue avoir été très rassuré par le site. Et je vais me fendre de mes 9€ par mois, « en tant que professionnel intéressé ».

  5. Pingback: [Cup Of Tea] Blog » [ S’inscrire dans le réseau VS qualifier son audience ]

  6. Quel est l’enjeu de l’éditorial payant ? La valeur ajoutée de ce que l’on paye.
    Si Mediapart fait ce que ne fait pas Rue 89, c’est à dire de l’enquête, alors je suis persuadé qu’il se trouvera en France bien plus de 100 000 personnes disposées à payer un abonnement pour ce qui deviendra une lettre d’information, type Canard Enchainé sur le Web.
    A ce propos, le site Bakchich, qui sort quelques informations de grande qualité, est condamné par son modèle économique, n’ayant finalement pas fait le grand saut : le site gratuit n’est que le flotteur du navire amiral payant, le Print.

    Pour finir, je pense que le modèle payant adopté par @SI n’aura pas le même avenir que Mediapart. Payer pour une critique des médias, ça n’a guère d’intérêt. Payer pour des informations exclusives, oui.
    Et c’est d’ailleurs ainsi que renaîtra la presse sur le Web : avec de l’information exclusive, recoupée (ou sûre) et réactive. Ce qui induit FORCEMENT un modèle payant ou semi-payant.
    Ce travail d’enquête a un prix, que ne peuvent plus se payer les supports écrits, trop dépendants de la pub.

  7. Une précision tout de même, vous remarquerez que je ne porte aucun jugement de fond sur le contenu du projet éditorial (pour Mediapart comme pour Arret sur images). Je me préoccupe de la question du modèle économique mais bien sur on peut toujours discuter de la pertinence du projet éditorial lui même.
    Simplement ce n’est pas mon propos ce qui ne veut pas dire que cela n’a pas d’importance, bien evidemment.

  8. Emmanuel, je ne comprends pas comment tu peux décorreller le contenu du modèle économique : ça n’a guère de sens quand on parle de projet éditorial…
    A mon (humble) avis, l’une des données fondamentales pour l’éditorial sur le Net résidera dans la possibilité de proposer du contenu différenciant. Et de qualité.
    Je travaille chez un mastodonte du Web mondial, dont le modèle de portail, basé essentiellement sur l’aggrégation de news d’agences, est condamné à moyen terme. Voir à court terme si google News va au bout de sa logique, en référençant ses propres dépêches aux dépens de la concurrence, qui propose exactement les mêmes.

  9. je laisse le même commentaire que chez versac, cup of tea, chouingmedia, kelblog

    « qui connait un site de contenus payant en France avec plus de 65.000 abonnés ? »

    et les jeux ne comptent pas
    et les 50% d’abonnés gratuits au monde.fr non plus

    un repas offert dans un restau primé par Fooding 2007

  10. @George’s: bien entendu j’ai aussi une opinion sur le contenu et sa qualité est cruciale. Simplement ce n’est pas l’objet de la discussion ici.
    En général tout le monde discute des contenus et des questions ideologiques mais peu de gens commentent les aspects stratégiques ou les modeles économiques. Ce blog essaye de corriger, modestement, ce déséquilibre.

  11. Emmanuel, pas de méprise : nous ne sommes pas dans le jugement de valeur, mais bien dans la réflexion sur l’offre éditoriale elle-même.
    Voilà pourquoi je ne comprends pas que tu ne prennes pas en compte l’aspect purement qualitatif du contenu éditorial.
    Rue 89, @SI ou Médiapart sont destinés à un public particulier, plutôt surinformé, surdiplômé etc…
    De plus, les trois ont un grand point commun : ils s’affirment à des degrés divers comme alternatifs à la presse traditionnelle, que tous jugent décevante, voire pire.
    Or, clairement, le contenu éditorial n’est pas (ou ne semble pas) de même qualité. Et auprès du public dont je parle plus haut, cela fera sûrement la différence au moment de mettre la main au portefeuille.

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