Media 2.0: les joies du journalisme en pay per view

Une des journalistes vedettes de ZDNet.com, Mary Jo Foley (qui couvre les activités de Microsoft), devenue indépendante tout en continuant sa collaboration via un blog a récemment expliqué qu’elle était rémunérée à la performance c’est à dire selon le nombre de lecteurs de ses articles. Bref elle est payée aux clics, selon une image inversée du système adsense de Google. Du coup le débat fait rage autour de ce journalisme en pay-per-view. Steve Rubel gourou des RP new age chez Edelman (l’agence de RP pas toujours à la hauteur du génie de ses dirigeants) y voit le risque d’un encouragement aux articles racoleurs et surtout a privilégier les marques les plus connues afin de bénéficier du retour naturel de leur popularité. Certes, d’autant que ce petit truc sur les marques est déjà à la base de la stratégie éditoriale de nombreux magazines façon Capital qui s’écartent peu du CAC 40. Sur ce point le Web n’a rien inventé…

La réponse de Dan Farber (le redac chef de ZDNet.com) au billet de Steve est intéressante car elle dévoile un aspect important de la nouvelle relation qui s’instaure dans des medias collaboratifs. Dan parle de la « réputation » des blogueurs qui joue le rôle de bouclier naturel face aux excès possible. Certes, mais il ne s’étend pas sur le corollaire: la rémunération de la collaboration est déconnectée de sa valeur réelle en temps de travail car il est implicite que le gain de crédibilité apporté par la marque du média « hébergeur » est comptée comme une part invisible de la rémunération du blogueur. Charge au blogueur de monétiser ailleurs sa visibilité acquise. Don et contre don, on assiste bel et bien à une dissolution du salariat au profit d’un troc de capital symbolique entre les deux parties, adouci par un partage des revenus.

Conclusion: le modèle économique du media à la sauce 2.0 construit une part de sa rentabilité économique sur une rétribution partielle de la force de travail. C’est tout le truc. Et je ne le dis pas par hasard, ce calcul n’est pas absent des acteurs de la nouvelle génération de sites à base de journalisme collaboratif dont je parlais récemment. Comme ancien directeur des rédactions de ZDNet France je connais bien la démarche de Dan Farber et je sais qu’elle est transparente et honnête mais elle conduit logiquement à s’interroger sur l’évolution du modèle des medias.

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je suis persuadé que les nouvelles formes de medias type Engadget.com ou de blogs à thèmes verticaux, avec une production effrenée de billets courts, de copier-coller de communiqués ou de citations de blogs sont la conséquence du modèle économique basé sur les revenus à la performance façon Google Adsense et non l’inverse. Le media s’est adapté à l’environnement, la pub a influé sur la forme du media et non le lecteur. Seule alternative économique pour le media professionnel qui ne veut pas se condamner à pondre des boulettes de brèves comme un cochon d’Inde en cage, payer ses journalistes … à la performance.

Contrairement à ce que pensent mes collègues de l’Expansion CNET (éditeur de ZDNet.com) n’a pas initié cette pratique. La Netéconomie avait déjà inventé la rémunération des rédacteurs à la performance, je me souviens du site de recettes de cuisine qui rémunérait les auteurs de fiches sur la vente en ligne des ingrédients cités dans la recette (oui, on ne rigole pas SVP…). Surtout on oublie un des plus beau succès du genre, racheté pour 410 M$ par le New York Times: About.com.

Quel est le modèle d’About.com? Des rédacteurs recrutés parmi les lecteurs (en fait in fine surtout des journalistes indépendants) et payés un minimum de 500 $ par mois auquel s’ajoute un pourcentage sur les revenus des mots clés sponsorisés abondamment disséminés sur le site. En clair un paiement à la performance, basé sur celui des mots clés sponsorisés… Un modèle gagnant puisque la rémunération est une fraction des revenus. Pas de bénéfice, pas de salaire… L’administration du média consiste alors à organiser la promotion du site et orienter la production éditoriale vers les thèmes à forts potentiels de revenus c’est à dire là ou les enchères sur les mots clés sont les plus élevées. Stratégie suivie d’ailleurs par les blogs verticaux pour ceux qui s’interrogent sur cette frénésie des blogs « automobile », « voyages », « high-tech » ou « bourse »!

Je me suis souvent interrogé sur l’importation de ce modèle en France, en particulier en matière de législation. Les journalistes toujours prompts à revendiquer les droits d’auteur pourraient bien se retrouver pris à leur propre piège: celui de se retrouver cerné par une généralisation d’un modèle basé sur une rémunération à base de droits d’auteur calculés … à la performance et très exactement indexé sur une fraction des revenus publicitaires. Un comble! 

(J’en profite pour préciser que je ne touche aucune rémunération pour mes contributions sur ZDNet.fr mis à par le gain naturel de notoriété 🙂 )

11 réflexions sur “Media 2.0: les joies du journalisme en pay per view

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  3. Cette recherche de popularité est-elle vraiment nouvelle ? Les mass media nous ont habitués à une information en forme de clips, à la présence plus fréquente des stars de cinéma que des sociologues, à la prédominance sur les analyses de fond de faits divers sans portée générale, cf. cet article de presse 1.0 : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/12/BALBASTRE/11719

    Mais tu cherchais peut-être simplement à suggérer que les médias 2.0 laissent des marges, pour la presse traditionnelle ou pour autre chose (cf. ton billet du 17 janvier).

  4. Très juste Jean-Michel, d’ailleurs je pense que l’internet a « magnifié » le phénomène en mettant à nu le modèle des medias. J’y pensais en regardant certains mots clés achetés par certains journaux: c’est un peu la guerre des couvertures en plus rapide et sans barrière…

    Sinon je ne suggérais rien mais disons que la barre d’entrée est toujours très haute pour celui qui veut faire un media d’information de qualité et rien de dit encore à ce jour qu’il puisse disposer d’un modèle viable en étant uniquement produit et diffusé sur internet

  5. […] C’est une histoire aussi vieille que celle des médias : si l’auteur pense à la rémunération directe pour créer son contenu, il est vite dévoilé (qu’il soit bloggeur ou professionnel). Les consommateurs des médias ne sont pas des imbéciles, ils sont parfois plus éduqués sur la chose que les spécialistes des médias… […]

  6. une broutille : « je connais bien la démarche de Dan Farber et je sais *qu’elle* est transparente » (mode Capello off)

  7. Bite, couille, caca, fesses et gros seins : voilà qui devrait susciter un certain nombre de clics… Ah oui, la prochaine fois, penser à illustrer l’article avec une bonne grosse laitière. Eh oui, la première audience d’internet, ce sont bien les sites pornos, non ?
    C’était ma contribution gratuite – mais ça va pas durer – au (futur) salaire d’Emmanuel Parody.

  8. Certes ! Mais comme vous l’aviez compris je voulais juste pointer une potentielle dérive à ce système de mots-clés 😉
    Trop tentant, à mon avis, pour un journaliste qui aurait besoin d’arrondir ses fins de mois… On connaît déjà les dérives télévisuelles qui consistent à « faire de l’audience » à tout prix.
    Sans rancune, je ne venais pas pour troller.

  9. Oui c’est une dérive et surtout à mon avis une régression assez effrayante. Certains y trouvent leur compte mais je crois que ne crois pas qu’on puisse constituer un projet éditorial fort autour de collaborations itinérantes… Enfin il y a fort à parier qu’au final le producteur d’information soit lésé.

  10. Je vous suis très bien quand vous estimez que c’est le producteur d’information qui sera lésé dans cette affaire (le système de la pige à la ligne lui était déjà très défavorable, sauf exception des pigistes de luxe).
    Je vous suis encore plus quand vous redoutez qu’on ne puisse pas constituer « un projet éditorial fort autour de collaborations itinérantes » et vous pourriez ajouter de collaborations précaires, la précarité ne créant jamais, en matière de contenu, les conditions de la qualité.
    C’est tout l’équilibre économique de la presse en ligne qui apparait encore bien précaire, voire immature aujourd’hui.
    Ce qui a tout de même quelque chose d’un peu étonnant… 80% des coûts de production de la presse quotidienne papier sont avalés par l’imprimerie et la diffusion. Or ces coûts de fabrication et diffusion sont quasi nuls sur internet. Mais il ne semble toujours pas possible de dégager un financement de la production des contenus au moins équivalent à celui du papier pour les projets de presse en ligne…
    Je comprend cette ruée sur les contenus produits par l’usager. Quelle aubaine!
    On peut même envisager de les rémunérer (bien moins cher qu’une pige, il ne faut pas abuser tout de même!).
    Je veux bien suivre Julien Jacob qui dit quelque part que l’on trouvera certainement des « pépites » au milieu de cette matière, qui est le plus souvent, il faut bien le reconnaître, sans grand intérêt collectif (soit dit sans mépris pour le grand intérêt personnel qu’elle représente pour ses auteurs et pour leurs proches). Mais elles n’ont pas de raison d’être vraiment plus nombreuses que « du temps du papier » et le système précédent savait déjà les dénicher… L’outil ne crée pas l’artisan. Et un super outil ne fait pas d’un novice un super artisan.
    J’espère que l’avenir de la presse en ligne ne se résume pas pour le moment à un gigantesque album de photos de familles doublé d’un immense carnet de confessions intimes, quand bien même ils seraient interconnectés, indexés et évalués par les usagers.

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